CHAPITRE XX.
e lendemain de la fête de l’Abbaye des Vignerons, un jour pur
et sans nuage se leva sur le Léman. Plusieurs centaines de Suisses,
sobres et avares du temps, avaient quitté la ville bien avant l’aurore,
et une foule d’étrangers se pressaient dans les barques au
moment où le soleil paraissait brillant et radieux ; sur les riants
sommets des côtes voisines. Malgré cette heure matinale, une
grande agitation régnait dans le château élevé de Blonay et autour
de cette habitation, les domestiques couraient de chambre
en chambre, montaient et descendaient : on les voyait circuler
dans les cours, sur les terrasses. Les paysans, qui travaillaient
dans les champs voisins suspendirent leurs travaux, et appuyés
sur les instruments du labour, ils considéraient, la bouche
entr’ouverte et dans une muette admiration, les préparatifs du
château. Quoique les faits que nous sommes chargés de raconter
ne se soient pas passés précisément dans l’âge de la féodalité, ils
précèdent néanmoins de beaucoup d’années les grands événements
politiques qui ont apporté des changements si considérables
à l’état social de l’Europe. La Suisse était dans ce temps
une contrée fermée, même aux habitants des pays adjacents ;
les routes et les auberges ne ressemblaient en rien à ce qu’elles
sont à présent, non-seulement chez ces montagnards, mais dans
tout le reste de ce qui était appelé alors, avec plus de justice
qu’aujourd’hui, la seule portion civilisée du globe. On n’osait
pas souvent se confier aux chevaux pour le passage des Alpes ; le
voyageur avait recours aux pieds plus sûrs de la mule, et il n’était
pas rare de la voir employer aussi par les voituriers et les contrebandiers
les plus habitués à parcourir ces sentiers escarpés. Des
routes existaient comme dans le reste de l’Europe, dans le pays
de plaine, si ce nom peut s’appliquer à aucune des parties de la