Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous pensez comme une personne plus accoutumée à considérer, dans le jugement qu’elle porte de ses semblables, les biens imaginaires que les choses réelles. C’est l’image qu’une jeune et pure inexpérience se plaît à tracer, ce n’est pas celle de la vie. Ce n’est pas la prospérité, mais l’infortune qui purifie, en nous démontrant notre insuffisance pour le vrai bonheur, et en conduisant l’âme à s’appuyer sur un pouvoir plus grand que tous ceux que la terre renferme. Le bonheur et ses écueils nous abattent, l’adversité nous relève. Si vous pensez que les sentiments nobles et justes sont l’apanage assuré de l’homme heureux, vous suivez un guide qui vous égare. La vie peut offrir, il est vrai, des épreuves supérieures à notre faiblesse, mais à l’exception de ces malheurs sans nom, nous sommes plus justes, nous sommes meilleurs quand les séductions de la vanité et de l’ambition n’existent pas pour nous. On voit plus souvent le mendiant, à demi mort de faim, se refuser à voler le morceau de pain qu’il implore, que le riche rassasié, se refuser à lui-même le superflu qui le tue. Ceux qui plient sous la verge, voient et sentent la main qui la tient. Ceux que les grandeurs de la terre entourent, finissent par croire qu’ils méritent les distinctions passagères dont ils jouissent. Quand vous êtes descendu dans l’abîme de la misère, vous n’avez plus rien à craindre que la colère du ciel ! C’est celui qui est le plus élevé au-dessus des autres qui doit trembler le plus pour sa propre sûreté.

— Ce n’est pas ainsi que le monde a coutume de raisonner.

— Parce qu’il est gouverné par ceux qui ont intérêt à faire tourner la vérité vers leurs propres buts, et non par ceux dont les devoirs, les désirs s’accordent avec la justice. Mais n’en parlons plus, Madame ; les sentiments de ma pauvre enfant sont trop cruellement froissés pour nous permettre une entière franchise.

— Te trouves-tu mieux ? une voix amie peut-elle pénétrer jusqu’à toi, chère Christine ? demanda Adelheid, serrant la main de la fille proscrite avec la tendresse d’une sœur.

Christine n’avait encore prononcé que le peu de mots que nous avons rapportés et qui contenaient un doux reproche sur l’indiscrétion de sa mère ; ses lèvres desséchées, sa voix étouffée, la pâleur mortelle qui couvrait son visage, tout enfin trahissait les angoisses de son âme. Mais ce témoignage d’un intérêt si tendre émané d’une personne de son âge et de son sexe, qu’elle avait depuis longtemps appris à connaître par les descriptions animées