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longue habitude de maîtriser ses impressions quand la corde sensible de son origine était touchée, ce qui arrivait fréquemment, pour ne pas surmonter sur-le-champ une émotion involontaire.

— Oui, cette opinion est naturelle à votre âge, reprit Peterchen ; vous êtes à cette époque de la vie où une jolie figure et un doux regard ont plus d’attraits que l’or lui-même : une fois trente ans arrivés, nous pensons à nos intérêts ; et il est rare que ce qui n’est pas lucratif nous semble digne de beaucoup d’admiration.

— Mais la fille de Melchior de Willading est une femme à troubler toute une ville ; car, outre son noble sang, elle possède l’esprit, la richesse et la beauté. — Qu’en pensez-vous ?

— Qu’elle mérite tout le bonheur que ce monde peut accorder.

— Ah ! herr Sigismond, vous êtes moins loin de la trentaine que je ne pensais ! Mais, à l’égard de Balthazar, il ne faut pas que les paroles bienveillantes que je lui ai adressées vous persuadent que mon aversion pour ce malheureux est moins forte que la vôtre, que celle de tout honnête homme : il aurait été inconvenant et peu sage pour un bailli d’abandonner dans une circonstance publique celui qui exécute en dernier ressort les décrets de la loi. Il y a des sensations et des sentiments qui nous sont naturels à tous, et l’on doit placer parmi eux l’honneur, le respect accordés à une noble naissance (ce discours était exprimé en allemand) ; comme la haine et le mépris pour ceux que les hommes ont condamnés. Ce sont là des impressions qui appartiennent à la nature humaine elle-même ; et que Dieu me préserve, moi qui ai passé l’âge des illusions, d’entretenir aucun sentiment qui ne soit pas strictement dans les limites tracées par la nature.

— Mais ne sont-ils pas plutôt inspirés par nos abus, par nos préjugés ?

— La différence n’est pas importante dans la pratique, jeune homme. Ce qui s’insinue en nous par l’éducation et l’habitude finit par l’emporter sur l’instinct, et même sur nos sens. Si vous avez près de vous un objet dont la vue soit pénible, ou si vous sentez une odeur désagréable, vous pouvez vous en délivrer en détournant les yeux, ou en ayant recours à votre mouchoir ; mais je ne trouverais jamais les moyens d’affaiblir un préjugé, une fois qu’il est bien établi dans l’esprit. Vous pouvez porter vos regards où bon vous semble, vous préserver des sensations peu agréables par tous les moyens que l’imagination peut four-