Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demi-dieu était honteusement tombé sous l’influence des nombreuses libations qu’il s’était adressées à lui-même.

Nous n’appuierons pas sur les détails de cette scène, que tous ceux qui ont assisté à des réjouissances publiques peuvent facilement se figurer, et il n’est pas nécessaire de répéter les spirituelles plaisanteries qui, sous l’inspiration du généreux vin de Vevey et de la joie générale, partirent de la foule qui se pressait autour des murs de la prison ; le genre en sera aisément deviné par tous ceux qui ont quelquefois prêté l’oreille à cette gaieté du peuple, qui est plutôt amortie que ranimée par l’effet des liqueurs fortes, et ceux à qui elle est inconnue perdront fort peu à cette omission.

Les différentes allégories tirées de la mythologie se terminèrent enfin, et la procession des noces entra dans la place. La douce et gentille Christine n’avait paru nulle part, dans la journée, sans éveiller un vif sentiment de sympathie pour sa jeunesse, sa beauté, et son évidente innocence. De longs murmures d’approbation accompagnaient ses pas ; et la jeune fille, plus accoutumée à sa situation, commençait à sentir, probablement pour la prémière fois depuis qu’elle avait connu le secret de son origine, quelque chose qui approche de cette sécurité, indispensable compagne du bonheur. Longtemps habituée à se considérer comme proscrite par l’opinion, élevée dans la solitude qui convenait à ses parents, les éloges qu’elle entendait ne pouvaient que lui être agréables ; ils venaient ranimer et réjouir son cœur, en dépit des craintes, des inquiétudes qui l’avaient froissée durant tant d’années. À peine avait-elle osé jusqu’alors tourner ses regards vers son futur mari, qui, dans la pensée de cet esprit ingénu et sincère, avait bravé le préjugé pour lui rendre justice ; mais quand les applaudissements, contenus d’abord, éclatèrent de toutes parts sur la place de l’Hôtel-de-Ville, une vive et brillante rougeur se répandit sur ses joues, ses yeux cherchèrent avec un modeste orgueil celui qui était près d’elle, et ce silencieux appel semblait lui promettre que son généreux choix ne serait pas entièrement sans récompense. La foule répondit à ce sentiment, et jamais l’autel de l’hymen ne reçut de serment prêté sous des auspices plus prospères, du moins en apparence.

La beauté jointe à l’innocence exerce un empire universel ; il s’étendit jusqu’aux prisonniers, qui, malgré leur grossièreté naturelle et l’état où ils se trouvaient alors, admirèrent aussi