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dépens de sa bourse, qui ne paraissait cependant pas très-bien garnie, qu’il faisait apporter successivement de nouvelles bouteilles, qui bientôt se trouvaient épuisées jusqu’à la dernière goutte. Une heure ou deux se passèrent ainsi rapidement, ceux qui étaient chargés de veiller sur cette joyeuse société étant beaucoup trop occupés à regarder ce qu’on faisait sur la place pour penser aux prisonniers.

— Tu mènes une douce vie, honnête Pippo ! cria Conrad, répondant avec des yeux tout troublés à une observation du charlatan. Ton existence n’est qu’un long rire ; tu traverses ce monde en riant et en faisant rire les autres. Ton Polichinelle est un admirable personnage, et chaque fois que je rencontre un de tes confrères, ses folies me font oublier toutes mes fatigues.

— Corpo di Bacco ! je voudrais bien qu’il en fût ainsi ; mais tu es encore mieux partagé, et même plus gaiement, respectable pèlerin, quoique au premier coup d’œil on pût en douter. La différence entre nous, pieux Conrad, se borne en ceci : — Tu ris sous cape sans paraître être gai, et moi je baille à me démancher la mâchoire en paraissant mourir de rire. Ce Polichinelle est un triste compagnon ; il finit par être aussi grave que la tombe. Le vin ne peut être bu deux fois, et l’on ne rit pas toujours de la même plaisanterie. Cospetto ! je donnerais la récolte de cette année pour une pacotille de nouvelles folies qui n’auraient pas passé et repassé dans la cervelle de tous mes confrères d’Europe, telles enfin que pourrait les inventer un homme qui n’aurait jamais entendu aucun de nous.

— Un sage de l’ancien temps, dont probablement aucun de vous n’a entendu parler, observa Maso, a dit qu’il n’y avait rien de nouveau sous le soleil.

— Celui qui a dit cela n’avait pas goûté de ce vin, qui est aussi rude que s’il sortait de la cuve, reprit le pèlerin. Drôte ! penses-tu que nous ne nous y connaissions pas ? Comment oses-tu apporter un tel vin des hommes comme nous ? Va ! et traite-nous mieux la première fois.

— Ce vin est le même dont vous avez d’abord été satisfaits ; mais c’est le propre de l’excès de la boisson d’altérer le palais.

— Salomon a raison en cela, comme en toute autre chose, observa froidement Il Maledetto ; il est inutile, mon ami, que vous apportiez même du vin à des gens qui ne peuvent plus y faire honneur.