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sées d’un fourber habile à tromper et savant dans l’art de nuire à ses semblables. Le vin produisit sur Maso un effet qu’on pourrait presque appeler caractéristique, et la morale de cette histoire est intéressée à le décrire.

Il Maledetto avait pris part librement et avec une espèce d’insouciance aux fréquentes rasades qu’on versait à la ronde ; il était depuis longues années familiarisé avec les habitudes grossières de ses camarades, et un sentiment assez singulier, que les hommes de cette classe appelleraient honneur, et qui peut-être mérite autant ce nom que la moitié de ce que nous désignons ainsi, l’empêcha de se refuser à partager la chance commune dans cet assaut livré à leur raison, ce sentiment le porta à vider la coupe de l’enivrante liqueur chaque fois qu’elle circulait. Le vin lui parut bon, il apprécia son parfum, il se livra à ses vivifiantes influences avec le parfait laisser-aller d’un homme qui sait profiter de la circonstance qui a mis à sa disposition cette liqueur généreuse. Il avait aussi ses motifs pour désirer de connaître ses compagnons, et il pensait que le moment était favorable. De plus, Maso avait ses raisons particulières d’inquiétude en se trouvant dans les mains de l’autorité, et il n’était pas fâché d’amener un état de choses qui pouvait le conduire à être confondu dans un groupe de vulgaires partisans de Bacchus.

Mais Maso prit part à la disposition commune d’une manière particulière à lui-même ; ses yeux devinrent plus brillants qu’à l’ordinaire, sa figure se colora, sa voix s’embarrassa, mais il conserva toutes ses facultés ; sa raison au lieu de l’abandonner comme celle des hommes qui l’entouraient, sembla prendre une nouvelle force, comme si, prévoyant le danger qu’elle courait, elle sentait la nécessité de redoubler d’efforts. Né dans les climats du midi, il était cependant taciturne et froid quand il était livré à lui-même, et de semblables tempéraments sont reportés à leur niveau naturel par ces mêmes stimulants sous lesquels succombent de plus faibles organisations. Sa vie aventureuse s’était écoutée au milieu de ces périls qu’il aimait à braver. Il est probable que cette même trempe d’âme qui avait besoin, pour développer sa toute-puissance, de l’émotion d’un danger tel que la tempête sur le Léman, ou d’un excitant d’un autre genre, était aussi le mobile qui le rendait si propre à commander dans ces moments où les autres sont le mieux disposés à obéir. Sans crainte pour lui-même, il excitait ses compagnons, et c’était aux