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à la sûreté générale se trouvèrent tout naturellement obligés de soumettre d’abord leurs papiers à l’examen du Génevois[1].

Le Napolitain savait qu’un fripon d’archer, ou un homme qui aurait quelques escapades à se reprocher, ne ferait pas bien de se présenter ce jour-là à la porte d’eau, et il s’était en conséquence muni de toutes les précautions que son expérience de vagabond avait pu lui suggérer. On lui permit de passer. Le pauvre écolier westphalien présenta un document écrit en latin scholastique, et échappa à toute autre enquête par la vanité de l’ignorant agent de police, qui s’empressa de déclarer qu’il était agréable de rencontrer des papiers aussi en règle. Le Bernois, ayant l’air de penser que toute information était superflue, allait se placer près des deux autres, et se dirigeait en silence vers la porter, tout en serrant les cordons d’une bourse bien garnie, qu’il venait d’alléger d’une petite monnaie de cuivre en faveur du garçon de l’auberge où il avait passé la nuit, et qui l’avait suivi jusqu’au port pour obtenir ce faible salaire. L’officier pensa que l’importance de cette occupation lui faisait oublier la formalité que tous ceux qui sortaient de la ville devaient respecter.

— Vous avez sûrement un nom et un état ? observa-t-il avec un laconisme officiel.

— Dieu vous bénisse, mon ami ! Je ne croyais pas que Genève fût si pointilleuse avec un Suisse, et un Suisse si bien connu sur les bords de l’Aar, et en vérité dans tout le grand canton ! Je suis Nicklaus Wagner. Ce nom est peu célèbre peut-être, mais il est estimé de tous les hommes de poids ; son influence s’étend même jusqu’au Bürgerschaft. Nicklaus Wagner de Berne. Voulez-vous quelque chose de plus ?

— Rien, mais seulement la preuve. Rappelez-vous que vous êtes ici à Genève, et que les lois d’un petit État doivent être strictes dans de semblables affaires.

— Je n’ai jamais douté que je fusse à Genève, mais je m’étonne que vous puissiez douter que je sois Nicklaus Wagner ! Je pourrais voyager pendant la nuit la plus sombre, entre le Jura et l’Oberland, sans rencontrer une seule personne qui ne crût pas à

  1. Nous avons si souvent parlé de cette formalité, qu’il est bon d’expliquer que le système de gendarmerie et de passeports qui existe actuellement en Europe, n’a été établi que près d’un siècle après celui qui fut témoin de l’histoire que nous racontons ; mais Genève était un État faible, exposé aux attaques de voisins puissants, et la loi dont il est question est une des précautions auxquelles on avait recours de temps en temps pour protéger cette liberté et cette indépendance qui lui étaient chères avec tant de raison.