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pérances ne pourront se décider à payer. Mon père, habitué depuis son enfance à l’idée de remplir un jour cet emploi, succéda à son père jeune encore ; et, quoique la nature l’ait doué d’autant de douceur que de compassion, il n’a jamais reculé devant sa sanglante tâche lorsque les lois l’ont exigé. Mais, touché par un sentiment d’humanité, il résolut de me soustraire à la calamité qui afflige notre famille. Je suis l’aîné, et c’était sur moi que devait retomber l’affreuse succession de mon père ; mais, comme on me l’a rapporté, le tendre amour de ma mère lui suggéra un plan par lequel, moi au moins, je serais délivré de la honte qui était depuis si longtemps attachée à notre nom. Je fus secrètement éloigné de la maison pendant que j’étais enfant ; une mort supposée cacha la pieuse fraude, et jusqu’ici, le ciel en soit loué ! les autorités ignorent ma naissance.

— Et votre mère, Sigismond ? J’ai un grand respect pour cette noble mère, qui est douée, je le suppose, d’une plus grande force d’âme que les autres femmes, puisqu’elle a juré amour et fidélité à votre père, connaissant son état et l’impossibilité d’en éviter les devoirs. Je sens de la vénération pour une femme si supérieure aux faiblesses de son sexe, et cependant si vraie dans ses affections.

Le jeune homme sourit ; mais ce sourire était si pénible, que son enthousiaste compagne regretta la question qu’elle avait faite.

— Ma mère est certainement une femme qui mérite non seulement d’être aimée mais qui, sous beaucoup de rapports est digne d’un profond respect ; ma pauvre et noble mère a mille belles qualités, c’est la femme la plus tendre, et son cœur est si bon, qu’elle souffre lorsqu’elle voit tourmenter les plus petits êtres de la création de Dieu. On pourrait croire qu’elle n’était point née pour être la mère d’une famille de bourreaux !

— Vous voyez, Sigismond, dit Adelheid, qui respirait à peine (tant elle était pressée d’adoucir l’agonie qu’elle avait causée), vous voyez qu’une belle et excellente femme au moins a cru pouvoir confier son bonheur à votre famille. Il n’y a pas de doute qu’elle ne fût la fille de quelque digne bourgeois du canton, qui avait appris à son enfant à faire une distinction entre le malheur et le crime ?

— C’était une fille unique, et une héritière comme vous, Adelheid, répondit Sigismond en regardant autour de lui comme s’il eût voulu trouver un objet sur lequel il pût décharger une par-