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léger. Pendant près d’une demi-heure, le jeune homme parcourut la verte prairie, sachant à peine où il allait, jusqu’à ce qu’il s’aperçût que ses pas l’avaient conduit de nouveau sous le balcon de la salle des Chevaliers. Levant les yeux, il vit Adelheid toujours assise à la même place, et en apparence seule encore ; il crut s’apercevoir qu’elle-avait pleuré ; il maudit la faiblesse qui l’avait empêché d’effectuer la résolution si souvent prise d’éloigner sa mauvaise fortune de cet ange de candeur et de bonté. Un second regard l’avertit qu’il était de nouveau invité à monter. Les projets des amants sont aussi changeants que subits, et Sigismond, qui, au milieu de divers plans aussitôt abandonnés que conçus, avait songé à mettre la mer entre lui et celle qu’il aimait, courait alors avec la rapidité de l’éclair pour se retrouver en sa présence.

Adelheid avait nécessairement été élevée sous l’influence des préjugés de son pays et du siècle sous lequel elle était née. La charge du bourreau de Berne et la nature de ses devoirs héréditaires lui étaient bien connues ; et, quoique supérieure à l’inimitié qu’avaient montrée la veille des gens sans éducation contre le malheureux Balthazar, cependant elle n’avait pas prévu un choc aussi cruel que celui qui venait d’être produit sur elle quand elle apprit que cet être méprisé était le père de celui auquel elle avait voué ses affections virginales. Lorsque cette révélation s’était échappée de la bouche de Sigismond, elle écoutait comme une personne qui croit être trompée par ses oreilles. Elle s’était préparée à entendre que le jeune soldat avait tiré sa naissance de quelque paysan ou de quelque ignoble artisan, et une ou deux fois, lorsqu’il approchait de cette révélation terrible, elle avait soupçonné que quelque faute contre la morale se rattachait à sa naissance. Cette pensée avait troublé son esprit ; mais ses craintes ne s’étaient jamais dirigées vers la révoltante vérité. Il se passa quelques instants avant qu’elle fût capable de rassembler ses souvenirs, ou de réfléchir sur la route qu’elle devait suivre. Mais, comme on l’a vu, elle eut le temps de reprendre de l’empire sur elle-même avant d’exiger ce qu’elle sentait doublement nécessaire, une nouvelle entrevue avec son amant. Lorsqu’il entra, elle était calme en apparence, et elle fit tous ses efforts pour sourire. Comme l’un et l’autre n’avaient songé qu’aux dernières paroles de Sigismond depuis qu’ils s’étaient séparés, le jeune soldat reprit la conversation au point où il l’avait laissée, et s’assit exactement à la même place qu’il occupait avant son départ précipité.