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le bras à une femme si jeune, si attrayante, qu’elle faisait éprouver un sentiment de regret à tous ceux qui observaient sa pâleur, et le doux et mélancolique sourire qui venait éclairer ses traits charmants lorsque la scène prenait un caractère de folie plus marqué ; mais les traces visibles de la souffrance n’empêchaient pas sa figure d’approcher de la perfection. Si, malgré les symptômes d’une santé délicate, elle semblait s’amuser de la volubilité et des arguments des orateurs, elle témoignait souvent encore quelque frayeur d’être au milieu de gens si indisciplinés, si violents, et d’une ignorance si grossière. Un jeune homme portant une roquelaure et les autres accessoires d’un Suisse qui sert en pays étranger, position qui, dans ce siècle, n’excitait ni observation ni commentaires, était près d’elle, et répondait aux questions qui lui étaient adressées de temps en temps, d’une manière qui annonçait une connaissance intime, quoique plusieurs choses dans son équipage de voyageur prouvassent qu’il ne faisait pas partie de leur société habituelle. De tous ceux qui n’étaient pas immédiatement engagés dans la tumultueuse discussion, ce jeune soldat, que les personnes placées près de lui nommaient ordinairement M. Sigismond, était celui qui y prenait l’intérêt le plus vif. Remarquable par sa taille et par une constitution qui annonçait une force plus qu’ordinaire, il paraissait violemment agité. Ses joues, qui n’avaient pas encore perdu la fraîcheur que donne l’air des montagnes, devenaient, par moment, aussi pâles que la faible fleur qui était à ses côtés ; et quelquefois le sang refluait sur son front avec une telle impétuosité, qu’il semblait sur le point de rompre les veines dans lesquelles on le voyait circuler. Il gardait le silence, se contentant de répondre quand on l’interrogeait, et son angoisse paraissait se calmer par degrés lorsqu’elle fut trahie par le mouvement convulsif de ses doigts, qui avaient saisi, sans qu’il s’en aperçût, la garde de son épée.

Le tumulte durait depuis quelque temps, les gosiers se fatiguaient, les langues s’embarrassaient, on n’entendait plus que des voix rauques, des paroles incohérentes, quand un incident tout à fait à l’unisson de la scène vint mettre un terme à ces inutiles clameurs. Deux énormes chiens, couchés à peu de distance, attendaient probablement leurs maîtres qui avaient disparu dans la masse de têtes et de corps qui obstruaient le passage ; l’un de ces animaux avait le poil court, épais, d’un jaune sale ; sa poitrine, ses pattes et les parties inférieures de son corps étaient d’un