Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lait le paraître aux yeux de son ami, quoique je croie que ce soit le seul point de controverse entre nous deux.

— N’est-il pas extraordinaire, répondit le Génois, que deux hommes aient les mêmes principes d’honneur, soient disposés à donner leur sang l’un pour l’autre, et, dans des moments de danger, que chacun soit moins inquiet pour lui que pour son ami, comme nous avons fait l’un et l’autre, Melchior, et cependant qu’il y ait dans leurs opinions religieuses tant de différence, que chacun d’eux s’imagine que l’âme de son ami est dans les griffes du diable, et pense que cette âme qui, sous tout autre rapport, lui semble si noble, si excellente, est pour jamais damnée faute de croire à de certaines opinions et formalités qu’il juge essentielles ?

— Pour te dire la vérité, répondit le baron en se frottant le front comme un homme qui désire donner plus de lucidité à ses idées, ainsi qu’on donne plus de brillant à de vieux métal par le frottement, ce sujet, comme tu le sais fort bien, n’a jamais été mon côté fort. Luther et Calvin, ainsi que d’autres sages, découvrirent que c’était faiblesse que de se soumettre à des dogmes sans les examiner, et ils séparèrent le blé de la paille : c’est ce que nous appelons la réforme. C’est assez pour moi que des hommes aussi sages aient été satisfaits de leurs recherches et de leurs changements, et j’éprouve peu d’inclination à troubler une décision qui a maintenant reçu la sanction de près de deux siècles de pratique. Pour te parler franchement, je crois qu’il est de mon devoir de conserver les croyances de mes pères.

— Mais non pas de tes grands-pères, à ce qu’il paraît, dit l’Italien un peu sèchement, quoique avec gaieté. Par saint François tu aurais fait un digne cardinal si la Providence t’avait fait naître cinquante lieues plus au sud, à l’ouest ou à l’est. Mais il en est ainsi dans le monde entier, qu’on soit Turc, Hindou, Luthérien, et même, je le crains, enfant de saint Pierre. Chacun a ses arguments sur sa foi ou sa politique, ou sur tout autre intérêt, dont il use comme d’un marteau pour renverser les obstacles que lui opposent ses adversaires ; et lorsqu’il se trouve dans les retranchements de l’ennemi, il réunit ensemble les matériaux éparpillés, afin de se bâtir une muraille pour se protéger. Alors ce qui était oppression hier devient une juste défense aujourd’hui ; le fanatisme prend le nom de logique ; la crédulité, la soumission, sont appelées, au bout de deux siècles, déférence aux opinions véné-