Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ne vivons-nous pas dans une république ? Le droit de bourgeoisie n’est-il pas le seul essentiel à Berne ? Pourquoi élèverais-je des obstacles relativement à des préjugés sur lesquels les lois gardent le silence ?

Adelheid écoutait comme une jeune fille écoute des paroles qui lui font du bien ; son oreille était charmée, et cependant elle secouait la tête comme pour exprimer une incrédulité qui n’était pas dénuée de crainte.

— Je te remercie sincèrement, mon bon père, de ton généreux oubli des préjugés du monde en faveur de mon bonheur, dit la jeune fille dont les yeux bleus et pensifs laissaient échapper involontairement des larmes. Il est vrai que nous habitons une république, mais nous n’en sommes pas moins nobles.

— Tu tournes tes armes contre toi-même, ma fille ; mais peux-tu croire que rien puisse me porter à refuser une chose que tu as jugée toi-même si nécessaire pour t’empêcher d’aller rejoindre tes frères et tes sœurs dans la tombe ?

Les joues d’Adelheid se couvrirent d’une rapide rougeur ; car, quoique tout en pleurs et se livrant à une tendre confidence, dans le moment qui succéda aux remerciements dont elle accabla le sauveur de son père, elle se jeta sur le sein de ce dernier, et confessa que le peu d’espoir avec lequel elle répondait à l’amour avoué de Sigismond était la véritable cause de la maladie qui avait effrayé ses amis : les mots qui étaient alors sortis de son cœur, dans une scène aussi tendre, ne lui avaient jamais paru exprimer un sentiment si fort et si blessant pour la fierté d’une vierge, que ceux dont son père s’était servi avec sa franchise habituelle.

— Par la bonté de Dieu, je vivrai, mon père, dit-elle, que je sois unie ou non à Sigismond, afin de consoler ta vieillesse. Une fille pieuse ne sera point arrachée si cruellement à son père, dont elle est le dernier et le seul enfant. Je puis me chagriner, et peut-être regretter que les choses n’aient pas été autrement ; mais les filles de notre maison ne meurent pas d’une faiblesse, quel que soit le mérite de ceux qui la causent.

— Et qu’ils soient nobles ou roturiers, ajouta le baron en riant, car il vit que sa fille consultait un peu son dépit plutôt que son excellent cœur.

Adelheid avait assez de bon sens pour sentir promptement qu’elle venait de montrer trop à découvert ses petites faiblesses