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pour prendre le vent ; et, lorsque la brise frappa ses voiles, il sortit de dessous les montagnes, et se dirigea en plein lac comme un cygne guidé par son instinct.

Le passage du Léman dans sa largeur et dans cette partie du croissant exige plus d’une heure par une brise semblable à celle qui enflait les voiles du Winkelried. Ce temps fut employé par la foule des passagers à se féliciter mutuellement, et à ces vanteries habituelles aux gens du peuple qui viennent d’échapper à un danger imminent sans aucun mérite de leur part. Parmi ceux dont l’éducation était plus soignée, on voyait plus d’attention pour les malades, et plus de reconnaissance envers la Providence. L’horrible destin du patron et de Nicklaus Wagner jetait une ombre sur la joie, et tous sentaient intérieurement qu’ils venaient d’être arrachés à une mort certaine.

Maso, guidé dans sa course par le phare qui brillait toujours au château de Blonay, l’œil fixé sur ses voiles, la hanche fortement appuyée contre le gouvernail, dirigeait la barque comme un bon génie ; mais son cœur se soulageait de temps en temps en poussant de profonds soupirs. Enfin, la masse sombre des côtes du pays de Vaud prit des formes plus distinctes et plus régulières. Çà et là une tour ou un arbre se détachaient sur le ciel, puis les objets du rivage se dessinèrent en relief sur la terre. On voyait des lumières briller sur le quai, on entendait des cris. Une pile noirâtre de bâtiments prit peu à peu l’aspect d’un château. Les voiles se détendirent, furent pliées, le Winkelried vogna plus doucement, et entra bientôt dans le havre, petit, mais sûr, de la Tour du Peil. Une forêt de mâts et de voiles étaient alors devant la barque ; Maso lui fit prendre place parmi les autres bâtiments avec tant d’habileté et de précision que le choc, suivant une expression de marin, n’eût pas été assez fort pour casser un œuf.

Cent voix félicitèrent à l’envi les voyageurs, car on les attendait avec une grande anxiété. Les citadins se précipitèrent sur le pont de la barque, accablant les passagers de questions ; pendant un instant le bruit fut à son comble. Au milieu de la foule un objet noir et poilu se précipita en avant, bondit sur Maso, et l’accabla de ses sauvages caresses, c’était Neptune. Plus tard, lorsqu’un sentiment plus calme fit place à la joie, et permit l’examen, on trouva une mèche de cheveux entre les dents du chien de Terre-Neuve ; et, la semaine suivante, les corps de Baptiste et du marchand de Berne furent aperçus sur les côtes du pays de