Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 13, 1839.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

delà de leurs propres limites, revenaient sur leurs pas comme la marée et son reflux. Cette cause produisit le vent du nord, qui avait succédé à l’ouragan.

Le vent qui venait du pays de Vaud était calme et frais. Les barques du lac de Genève ne sont pas construites pour lutter contre le vent, et l’on aurait même pu demander si le Winkelried aurait conservé ses voiles contre une aussi forte brise. Cependant Maso paraissait habile, et il avait acquis l’influence que le courage ou l’adresse obtiennent toujours dans les occasions difficiles sur le doute et la timidité ; tout l’équipage lui obéissait avec soumission, sinon avec zèle. On n’entendait plus parler du bourreau et de son influence sur la tempête ; et comme prudemment il se tenait à l’écart, afin de ne point exciter la superstition de ses ennemis, il paraissait entièrement oublié.

On passa un temps considérable à lever les ancres car Maso ne permit pas, puisque cela avait cessé d’être nécessaire, qu’une seule corde fût coupée ; devenue libre de ses liens, la barque tourna sur elle-même et fut bientôt conduite sous le vent. Le marin était au gouvernail, il fit tendre la voile d’avant et se dirigea en droite ligne vers les rochers de la Savoie. Cette manœuvre excita une sensation désagréable dans l’esprit de plusieurs passagers, car le caractère du pilote avait été plus que soupçonné dans le cours de leur connaissance ; la côte vers laquelle ils se portaient avec tant de violence était connue pour une barrière de fer, bien fatale, par un tel vent, pour tous ceux qui se hasardaient contre ses rochers. Une demi-heure détruisit les craintes. Lorsqu’on fut assez près des montagnes pour sentir leur influence atténuante sur le vent, et l’effet naturel des remous formés par leur résistance aux courants, il vint au lof et tendit sa grande voile. Soutenu par cette sage précaution, le Winkelried porta bravement sa voilure, et la barque glissa le long des côtes de la Savoie, avec son éperon écumeux, passant les ravins, les vallons, les hameaux, comme si elle eût fendu les airs.

En moins d’une heure on vit Saint-Gingoulph, village qui forme les limites entre le territoire suisse et les possessions du roi de Sardaigne ; et les excellents calculs de l’habile Maso parurent dans tout leur jour. Il avait prévu une autre bouffée de vent, comme pour former contre-poids, et, en effet, il trouva là la véritable brise de nuit. Le dernier courant vint des gorges du Valais, subitement et avec force. Le Winkelried fut lancé à temps