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jeune homme, qui savait bien, lorsqu’il vivait, le dégoût que m’inspiraient de pareils contes et mon désir de les bannir du Jaegerthal. Vous connaissez aussi quelles étaient sa modestie et son obéissance ; enfin vous voyez clairement qu’il n’y a point de chiens…

Dans cet instant Emich reçut une bruyante contradiction. Au moment où ses lèvres, qui devenaient éloquentes par l’impunité qui avait accompagné sa déclaration, proféraient ces dernières paroles, on entendit un cri prolongé de chiens de chasse. Cinquante exclamations énergiques partirent en même temps de la foule, qui s’agita comme une mer soulevée par le vent. Les sons venaient d’entre les arbres, au milieu même du redouté Heidenmauer, et ils semblaient d’autant plus surnaturels qu’ils sortaient de dessous l’ombrage touffu des cèdres.

— Allons en avant ! s’écria le comte excité presque jusqu’au délire, et saisissant la poignée de son épée avec une main de fer. Ce n’est qu’une meute ! quelque misérable aura lâché les chiens de leur laisse, et ils sentent la trace des pas de leur ancien maître qui avait l’habitude d’aller rendre visite à l’ermite demeurant dans ces lieux.

— Écoutez ! interrompit Lottchen sortant du groupe des femmes et s’avançant avec précipitation et d’un air égaré, Dieu est sur le point de révéler son pouvoir pour quelque fin glorieuse ! Je connais ce pas.

Elle fut interrompue d’une manière effrayante, car, tandis qu’elle parlait, les chiens sortirent du couvert avec la vivacité et l’étourderie ordinaires à ces animaux, et ils entourèrent cette femme éperdue. Au même moment un mur chancelant donna passage au bond précipité d’un être humain : et Lottchen tomba évanouie sur le sein de son fils !

Nous tirons un voile sur la terreur subite, la surprise générale, les larmes, le délire, et la joie plus raisonnée qui survint ensuite. En un moment la scène changea totalement : les chants cessèrent, l’ordre de la procession fut interrompu, car une ardente curiosité avait succédé aux craintes superstitieuses. Mais Emich, par son autorité, renvoya la foule sur le plateau du Teufelstein, où il lui fut ordonné de se contenter pour le moment de conjectures et d’histoires de changements semblables et subits de morts