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— Elle-même. Tu connais Annina, la fille du vieux Thomaso ; car elle dansait dans le lieu même où je t’ai reconnu. Je ne parlerais pas ainsi de cette fille si je ne savais que tu ne te fais pas scrupule toi-même de recevoir des liqueurs qui n’ont point rendu visite à la douane.

— Quant à cela, ne crains rien ; je t’ai juré qu’aucun secret de cette nature ne serait divulgué. Mais cette Annina est une fille qui a autant d’esprit que de hardiesse.

— Entre nous, signor Roderigo, il n’est pas facile de reconnaître ceux que le sénat paie et ceux qu’il ne paie pas. Je me suis souvent imaginé, à ta manière de tressaillir et au son de ta voix, que toi-même tu n’étais ni plus ni moins que le lieutenant-général des galères un peu déguisé.

— Et c’est là ce que tu appelles ta connaissance des hommes !

— Si l’on ne se trompait jamais, où serait le mérite de deviner juste ? Tu n’as jamais été chaudement poursuivi par un infidèle, maître Roderigo, ou tu saurais combien l’esprit de l’homme peut passer subitement de l’espoir à la crainte et du courroux à une humble prière ! Je me souviens qu’une fois, dans la confusion d’une tempête et du sifflement des balles, ayant constamment des turbans devant les yeux et la bastonnade dans l’esprit, j’ai prié saint Stefano du même ton que j’aurais parlé à un chien, et j’ai commandé à mes gens avec la voix d’un jeune chat. Corpo di Bacco ! on a besoin d’expérience dans de pareils cas, même pour reconnaître son propre mérite.

— Je te crois. Mais quel est le Gino dont tu parlais à l’instant ? et comment un homme que tu as connu à Calabre est-il devenu ici gondolier ?

— Ce sont des choses que j’ignore. Son maître, et je pourrais dire le mien, car je suis né sur ses domaines, est le jeune duc de Sainte-Agathe, le même qui fait valoir près du sénat ses droits à la fortune et aux honneurs du défunt Monforte qui avait siégé aux conseils. Ce procès dure depuis si longtemps, que Gino est devenu gondolier à force de tenir l’aviron depuis le palais de son maître jusqu’à ceux des nobles que don Camillo va solliciter. — Du moins, voilà comme Gino raconte qu’il a appris son état.

— Je me rappelle cet homme. Il porte les couleurs de son maître. A-t-il de l’esprit ?

— Signoer Roderigo, tous ceux qui viennent de la Calabre ne