Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme habile dans son état, et habitué depuis longtemps aux mystères des lagunes.

— Voudrais-tu dire que c’est un contrebandier ?

— Non. Il travaille de trop bonne heure et trop tard pour avoir d’autres moyens d’existence que le travail.

— Tu connais, Jacopo, la sévérité de nos lois sur ce qui concerne les revenus publics ?

— Je sais, Signore, que les jugements de Saint-Marc sont toujours sévères lorsqu’on touche à ses intérêts.

— On ne te demande ton opinion que sur la question que je t’ai posée. Cet homme a l’habitude de courtiser les bonnes grâces de ses confrères et de s’occuper d’affaires dont ses supérieurs seuls peuvent juger avec connaissance de cause.

— Signore, il est vieux : la langue s’enhardit avec les années.

— Ce n’est point le caractère d’Antonio. La nature l’a traité libéralement ; et si sa naissance et son éducation avaient répondu à son esprit, le sénat eût été heureux d’écouter ses avis ; mais enfin je crains qu’il ne parle dans un sens contraire à ses intérêts.

— Certainement ; s’il parle de manière à offenser l’oreille de Saint-Marc.

Le sénateur jeta un regard rapide et soupçonneux sur le Bravo, comme pour lire sur son visage la signification exacte de ses paroles. Apercevant toujours la même expression sur les traits calmes qu’il examinait, il continua comme s’il ne se fût point élevé de méfiance en son esprit :

— Si, comme tu le dis, il outrage la république dans ses paroles, ses années ne lui ont pas donné de prudence. J’aime cet homme, Jacopo : car il est assez ordinaire d’avoir quelque partialité pour ceux qui ont puisé leur première nourriture à la même source que nous.

— Cela est vrai, Signore.

— Éprouvant pour lui cette faiblesse, je voudrais le voir prudent et réservé. Tu connais sans doute son opinion sur la nécessité où se trouve l’État d’engager sur ses flottes tous les jeunes gens des lagunes.

— Je sais que la presse lui a enlevé l’enfant qui travaillait avec lui.

— Pour travailler honorablement et peut-être avantageusement au service de la république !