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jambes nues annonçaient une force musculaire qui prouvait que la nature chez lui était dans sa force plutôt qu’à son déclin. Il tournait depuis quelques instants son bonnet dans ses mains, lorsque le sénateur s’aperçut de sa présence.

— Ah ! c’est toi, Antonio ! s’écria le patricien ; pourquoi cette visite ?

— Signore, j’ai un poids sur le cœur.

— Le calendrier n’a-t-il plus de saint et le pêcheur plus de patron ? Je suppose que le sirocco a secoué les eaux de la baie et que tes filets sont vides. Tiens ! tu es mon frère de lait, et tu ne dois point connaître le besoin.

Le pêcheur recula avec dignité, refusant le don d’un air simple mais décidé.

— Signore, dit-il, nous sommes parvenus à la vieillesse depuis l’époque où nous suçâmes le lait à la même source : pendant tout ce temps m’avez-vous jamais vu mendier ?

— Tu n’es pas habitué à demander, il est vrai, Antonio ; mais l’âge abat notre fierté avec nos forces. Si ce n’est pas des sequins que tu cherches, que veux-tu ?

— Il y a d’autres besoins que ceux du corps, Signore, et d’autres souffrances que la faim.

L’expression du sénateur changea. Il jeta un regard scrutateur sur son frère de lait, et avant de répondre il ferma la porte qui communiquait avec l’extérieur.

— Tes paroles annoncent le mécontentement comme à l’ordinaire. Tu es habitué à commenter des mesures et des intérêts qui surpassent ton intelligence, et tu sais cependant que tes opinions ont déjà attiré sur toi le déplaisir du gouvernement. Les ignorants et les pauvres sont pour l’État des enfants dont le devoir est d’obéir et non de fronder. Que veux-tu ?

— Je ne suis point ce que vous croyez, Signore : je suis habitué à la pauvreté et au besoin, et je me contente de peu. Le sénat est mon maître, et comme tel je l’honore. Mais le pêcheur a des sentiments aussi bien que le doge.

— Encore ! Tes sentiments, Antonio, sont par trop exigeants. Tu en parles dans toutes les occasions, comme si c’était la chose la plus importante.

— Elle est importante pour moi, Signore. Quoique j’attache peu de prix à mes propres affaires, j’ai une pensée à donner au