Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me les ait fait pénétrer. Quand ils me crurent suffisamment engagé dans leurs filets, ce fut alors qu’ils m’entraînèrent dans cette fatale erreur qui a détruit toutes mes espérances et qui m’a conduit où je suis.

— Tu m’avais affirmé ton innocence, mon fils !

— Je ne suis pas coupable d’avoir versé le sang, mon père ; mais je le suis d’avoir cédé à leurs artifices. Je ne vous fatiguerai pas en vous rapportant tous les moyens qu’ils employèrent pour faire plier mon caractère à leurs desseins. Je prêtai le serment de servir l’État comme son agent secret, pendant un certain temps. Ma récompense devait être la liberté de mon père. S’ils étaient venus me trouver au milieu du monde, dans le calme de ma raison, leurs artifices n’auraient pas triomphé : mais voyant tous les jours les souffrances de celui qui m’avait donné le jour et qui était alors tout ce qui me restait au monde, ils étaient trop forts pour ma faiblesse. On me parlait tout bas de roues et de tortures ; on me fit voir des tableaux représentant des martyres, pour me donner une idée des tourments qu’on pouvait faire souffrir. Les assassinats étaient fréquents et exigeaient l’œil de la police. En un mot, mon père (et en parlant ainsi, Jacopo se cacha le visage avec la robe de Gelsomina), je leur permis de faire courir sur mon compte des bruits qui pouvaient attirer sur moi les regards du public. Je n’ai pas besoin de dire que quiconque se prête à sa propre infamie ne manque jamais d’en recevoir la flétrissure.

— Quel pouvait être le but de cette misérable fausseté ?

— Mon père, on s’adressait à moi comme à un bravo connu, et mes rapports, sous plus d’un point de vue, étaient utiles aux desseins du sénat. J’ai sauvé la vie de quelques citoyens, et c’est une consolation pour moi dans mon erreur, si cette erreur n’est pas un crime.

— Je te comprends, Jacopo : j’ai entendu dire que Venise ne se faisait pas scrupule de se servir de cette manière des hommes d’un caractère brave et ardent. Bienheureux saint Marc, ton nom peut-il servir de sanction à une telle imposture !

— Oui, mon père, et à d’autres encore. J’avais à remplir d’autres devoirs qui se rattachaient aux intérêts de la république, et naturellement je m’étais habitué à m’en acquitter. Les citoyens s’émerveillaient qu’on laissât en liberté un homme comme moi,