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lait avec vivacité, et les deux autres écoutaient chaque syllabe qui sortait de sa bouche, avec une attention qui prouvait que l’intérêt qu’ils prenaient à son innocence était plus fort que la curiosité.

— Je vous ai dit, mon père, continua-t-il, qu’une fausse accusation d’avoir fraudé les douanes avait attiré sur mon malheureux père le courroux du sénat, et que, malgré son innocence, il avait passé plusieurs années dans un de ces maudits cachots, tandis que nous le croyions exilé dans les îles. Enfin nous réussîmes à placer devant le Conseil des preuves qui devaient convaincre les patriciens de leur injustice ; mais je crois que les hommes qui prétendent être les élus de la terre, faits pour exercer l’autorité, ne sont pas disposés à reconnaître leurs erreurs, car ce serait une preuve contre la sagesse de leur système. Le conseil différa si longtemps de nous rendre justice que ma pauvre mère succomba à ses chagrins. Ma sœur, qui avait alors l’âge qu’a Gelsomina aujourd’hui, la suivit bientôt ; — car la seule raison qu’allégua le sénat quand il se trouva pressé pour donner des preuves, fut le soupçon qu’un jeune homme qui l’aimait était coupable du crime qui a coûté la vie à mon malheureux père.

— Et le sénat refusa-t-il de réparer son injustice ? demanda le carme.

— Il ne pouvait la réparer, mon père, sans avouer publiquement qu’il pouvait se tromper. Il y allait de l’honneur de quelques grands de l’État, et je crois que dans leurs conseils il règne une morale qui distingue entre les actions de l’homme et celles du sénateur, et qui met la politique avant la justice.

— Cela peut être vrai, mon fils ; car quand un gouvernement est basé sur de faux principes, les intérêts doivent nécessairement en être maintenus par des sophismes. Dieu en juge tout autrement.

— Sans cela, mon père, il n’y aurait pas d’espoir dans ce monde. Après des années de prières et de sollicitations, et en m’obligeant au secret par un serment solennel, on me permit enfin d’entrer dans le cachot de mon père. C’était un bonheur de pouvoir fournir à ses besoins, d’entendre sa voix, de m’agenouiller pour recevoir sa bénédiction. Gelsomina entrait alors dans l’âge nubile, et ce fut elle qui fut chargée de me conduire. J’ignorais les motifs des sénateurs, quoique depuis lors la réflexion