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le Napolitain ne soit pas trompé dans son attente, du moins en ce qui le concerne. — Tu me comprends ?

— Rien ne peut être plus clair, Signore.

— Il suffit ! Tu me connais, et tu peux compter sur ce que je t’ai promis, si tu me sers bien. — Osée, notre affaire est finie.

Giacomo Gradenigo fit signe à sa gondole d’approcher, et, jetant à Jacopo un sac qui contenait le premier paiement du sang qu’il voulait faire couler, il entra dans sa barque avec l’air d’indifférence d’un homme habitué à regarder comme légitimes de pareils moyens d’arriver à son but. Il n’en était pas de même d’Osée. C’était un fripon plutôt qu’un scélérat ; l’envie d’assurer l’argent qu’il avait prêté, et la promesse que le père et le fils lui avaient faite d’une somme considérable si le succès couronnait les desseins du dernier sur la main de donna Violetta, étaient des tentations irrésistibles pour un homme qui vivait méprisé de tout ce qui l’entourait, et qui ne trouvait de consolation qu’en cherchant à se procurer des moyens de jouissance que les chrétiens recherchent aussi bien que les juifs. Cependant son sang se glaçait quand il songeait à quelle extrémité Giacomo voulait pousser les choses, et il s’arrêta pour dire un mot en partant au Bravo.

— On prétend que ton stylet est sûr, honnête Jacopo, lui dit-il à demi-voix ; une main aussi exercée que la tienne doit savoir blesser aussi bien que tuer. — Fais une bonne blessure au Napolitain ; mais épargne sa vie. Le porteur d’un poignard au service du public, comme le tien, ne s’en trouvera peut-être pas plus mal, lors de la venue du Shiloh, pour avoir ménagé ses forces à l’occasion.

— Tu oublies l’or, Osée !

— Père Abraham ! quelle mémoire j’ai, à mon âge ! Tu as raison, prudent Jacopo. — Eh bien ! l’or t’arrivera en tout événement, — pourvu que tu arranges les choses de manière à laisser à mon jeune ami toute chance de succès auprès de l’héritière.

Jacopo fit un geste d’impatience, car en ce moment il vit une gondole s’approcher rapidement d’un endroit isolé du Lido. Le juif passa dans la barque de son compagnon, et le Bravo s’avança à force de rames vers la terre. Il ne fut pas longtemps sans toucher aux sables du Lido, et il marcha à grands pas vers les tombeaux au milieu desquels il avait tant d’aveux à faire à celui qu’on venait de le charger d’assassiner.