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à pas lents la petite place pour se rendre à l’endroit où il devait le trouver.

Jacopo, comme on l’a vu dans un chapitre précédent, avait coutume de se promener près des colonnes de granit pendant les premières heures de la nuit, et l’on croyait généralement que c’était pour y attendre des pratiques dans son trafic de sang, comme les hommes livrés à un commerce plus innocent prennent leur place ordinaire dans un marché. Quand on le voyait à celle qu’il avait l’habitude d’occuper, tous ceux qui avaient quelque égard pour leur réputation ou qui voulaient sauver les apparences avaient grand soin de l’éviter.

Le Bravo persécuté et pourtant toléré marchait à pas lents sur les dalles pour aller à son rendez-vous, ne se souciant pas d’y arriver trop tôt, quand un laquais lui glissa un morceau de papier dans la main et disparut aussi vite que ses jambes pouvaient le porter. On a déjà vu que Jacopo ne savait pas lire, car notre histoire se passait dans un siècle où l’on maintenait avec soin dans l’ignorance les gens de sa classe. Il arrêta donc le premier passant qui lui parut avoir l’air assez obligeant pour le satisfaire, et le pria de lui lire le billet qu’il venait de recevoir.

Celui à qui il s’était adressé était un honnête marchand d’un quartier éloigné. Il prit le billet et commença à le lire à haute voix :

« Je suis appelé ailleurs, et je ne puis me trouver au rendez-vous, Jacopo. »

Au nom de Jacopo, le papier tomba des mains du lecteur, qui s’enfuit à toutes jambes.

Le Bravo retourna lentement vers le quai, réfléchissant sur l’accident fâcheux qui dérangeait ses plans. Quelqu’un lui toucha le coude : il se retourna et vit un masque à son côté.

— Tu es Jacopo Frontoni ? dit l’étranger.

— En personne.

— Tu as une main qui est fidèle à celui qui l’emploie ?

— Fidèle.

— Bien. — Tu trouveras cent sequins dans ce sac.

— Quelle vie est dans la balance contre cet or ?

— La vie de don Camillo Monforte.

— De don Camillo Monforte ?

— Oui. Tu connais ce riche seigneur ?