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il était de son intérêt de la conduire en sûreté où elle voulait aller. Mais le succès de sa mission était si important qu’elle n’osait y compter avant de l’avoir obtenu. Elle reprit bientôt assez de résolution pour jeter un coup d’œil sur les palais et les gondoles à mesure qu’elle avançait, et elle sentit l’air rafraîchissant du canal ranimer son courage. Se retournant alors avec un reste de méfiance vers le gondolier pour examiner sa physionomie, elle vit que ses traits étaient cachés sous un masque si artistement fait, qu’il était impossible, au clair de lune, de s’apercevoir qu’il en portait un, à moins d’y faire une attention toute particulière. Quoique l’usage de porter un masque fût assez commun aux serviteurs des grands, il n’était pas ordinaire que les gondoliers publics fussent ainsi déguisés. Cette circonstance pouvait exciter quelque crainte ; cependant, en y réfléchissant, Gelsomina en conclut seulement que cet homme revenait de quelque partie de plaisir, de quelque sérénade donnée par un amant qui avait voulu que ceux qui l’accompagnaient fussent masqués.

— Monterez-vous sur le quai, Signora ? demanda le gondolier, ou vous conduirai-je à la porte de votre palais ?

Le cœur de Gelsomina battit violemment. Le son de cette voix lui plaisait, quoiqu’elle fût nécessairement changée par le masque ; mais elle était si peu habituée à s’occuper des affaires des autres, et surtout d’affaires d’un si grand intérêt, qu’elle trembla de tous ses membres, comme si elle eût été employée à une mission moins généreuse.

— Connais-tu le palais d’un certain don Camillo Monforte, seigneur de Calabre, demeurant à Venise ? lui demanda-t-elle après une pause d’un instant.

Cette question parut surprendre le gondolier, qui ne put s’empêcher de tressaillir. — Faut-il vous y conduire, Signora ? dit-il.

— Si tu es certain de connaître le palais.

Le gondolier frappa l’eau de sa rame, et le bateau glissa entre de hautes murailles. Gelsomina reconnut au son qu’ils étaient dans un des petits canaux, et elle en conclut que son gondolier connaissait bien la ville. Il s’arrêta devant une porte d’eau, et il santa sur l’escalier pour aider Gelsomina à sortir de la barque, suivant l’usage des gens de sa profession. Elle lui dit de l’attendre, et monta les degrés.

Il y avait dans la maison de don Camillo une apparence de dés-