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font aucun cas des obligations solennelles de la reconnaissance. Les liens de l’affection ne sont pour eux que des moyens d’inspirer la terreur à ceux quels gouvernent, mais non un motif pour y avoir égard. Ils rient de l’amour et du dévouement d’une femme comme d’une folie qui peut amuser leur loisir, ou les distraire des contrariétés qu’ils éprouvent quelquefois dans des affaires plus graves.

— En est-il de plus grave que le mariage, Madame ?

— C’en est une importante pour eux, parce qu’elle leur fournit le moyen de perpétuer les honneurs et les noms dont ils sont fiers. À cette exception près, le Conseil s’inquiète peu des intérêts domestiques.

— Ils sont pourtant pères et époux.

— Sans doute, parce que pour avoir un droit légal au premier titre il faut qu’ils aient le second. Le mariage n’est pas pour eux un nœud cher et sacré ; c’est uniquement un moyen d’augmenter leur richesse et de soutenir leur rang, continua la gouvernante en suivant sur la physionomie naïve de la jeune fille l’impression que faisaient sur elle ses paroles. Ils appellent les mariages d’affection des jeux d’enfants, et ils trafiquent du cœur de leurs filles comme d’un article de commerce. Quand un État érige une idole d’or pour son dieu, bien peu de gens refusent de sacrifier à son autel.

— Je voudrais bien pouvoir servir la noble donna Violetta.

— Tu es trop jeune, bonne Gelsomina, et je crains que tu ne connaisses mal les astuces de Venise.

— Ne doutez pas de moi, Signora ; je puis faire mon devoir comme une autre dans une bonne cause.

— S’il était possible d’instruire don Camillo Monforte de notre situation… Mais tu n’as pas assez d’expérience pour nous rendre un pareil service !

— Ne croyez pas cela, Signora ! s’écria la généreuse Gelsomina, dont la fierté commençait à stimuler la compassion qu’elle ressentait naturellement pour une personne de son âge, éprouvant comme elle cette passion qui remplit tout le cœur d’une femme. Je puis y être plus propre que mon extérieur ne donne lieu de le penser.

— Je me confierai en toi, bonne fille, et si la sainte Vierge nous protège, le soin de ta fortune ne sera pas oubliée.