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la matinée suivante, chacun s’occupa de ses affaires ou de ses plaisirs, comme on l’avait fait depuis des siècles, et personne ne s’arrêta pour questionner son voisin sur ce qui avait pu se passer pendant la nuit. Les uns étaient gais, les autres tristes ; ceux-ci oisifs, ceux-là affaires : ici l’un travaillait, là un autre allait se divertir ; et Venise offrait, suivant l’usage, sa foule silencieuse, méfiante, empressée, mystérieuse, et pourtant agitée, comme elle l’avait fait à mille autres semblables levers du soleil.

Les domestiques rassemblés autour de la porte de la demeure de donna Violetta avaient un air annonçant la méfiance et la circonspection ; à peine osaient-ils se faire part à voix basse de leurs secrets soupçons sur le sort de leur maîtresse. Le palais du signor Gradenigo présentait sa sombre magnificence ordinaire, et celui de don Camillo Monforte ne montrait aucun signe du désappointement cruel que son maître avait essuyé. La bella Sorrentina était encore à l’ancre dans le port, ayant une vergue étendue sur le pont, tandis que l’équipage en réparait la voile avec l’indolence de marins qui travaillaient sans ardeur.

Les lagunes étaient couvertes de barques de pêcheurs, et des voyageurs arrivaient dans la ville ou en partaient par les canaux bien connus de Fusina et de Mestre. Ici quelque aventurier du Nord quittait les canaux pour retourner vers les Alpes, emportant avec lui un souvenir agréable des cérémonies qu’il avait vues, mêlé de quelques conjectures sur le pouvoir qui dominait dans cet état suspect ; là un habitant de la terre-ferme allait retrouver sa petite métairie, satisfait des spectacles et des regatte de la veille. En un mot, rien d’extraordinaire n’avait lieu, et les événements que nous avons rapportés restaient un secret entre ceux qui y avaient joué un rôle et ce Conseil mystérieux auquel ils devaient en si grande partie leur existence.

À mesure que le jour avançait, plus d’une voile se tendit pour se rendre aux colonnes d’Hercule ou dans le Levant ; et des felouques, des mystics et des goëlettes partirent ou arrivèrent, suivant que le vent venait de la terre ou de la mer. Cependant le marinier calabrais restait tranquille sous la banne qui couvrait son pont, ou faisait sa sieste sur de vieilles voiles, mises en lambeaux par la violence du souffle de maint sirocco. Lorsque le soleil tomba, les gondoles des grands et des désœuvrés commencèrent à glisser sur la surface des lagunes ; et quand les deux places