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— Jamais, Signore. Il sert de pâture aux poissons des lagunes.

— Et c’est ta main qui lui a donné la mort, monstre ?

— Non, Signore ; c’est la justice de l’illustre république, répondit le Bravo avec un sourire plein d’amertume.

— Ah ! le sénat commence donc à ouvrir les yeux sur les crimes des gens de ta classe ? Ton repentir est le fruit de la crainte.

Jacopo avait peine à respirer. Il croyait avoir excité la compassion de don Camillo, malgré la différence de leur situation, et il fut accablé par la perte de cet espoir : il frémit, atteint d’un mortel découragement. Ému par les signes d’une douleur si peu équivoque, don Camillo continua de rester près de Jacopo : il lui répugnait de devenir le confident d’un homme dont le caractère était si connu, et cependant il ne pouvait se résoudre à laisser un de ses semblables livré à une telle angoisse,

— Signore, dit le Bravo d’une voix altérée qui pénétra jusqu’au fond du cœur du noble Napolitain, laissez-moi. S’ils demandent où est un prescrit, dites-leur de venir ici dans la matinée ; ils trouveront mon corps près des sépultures des hérétiques.

— Parle, je t’écouterai.

Jacopo le regarda d’un air de doute.

— Débarrasse ton cœur du fardeau qui l’oppresse : je t’écouterai, quand même tu me parlerais de l’assassinat de mon plus cher ami.

Le Bravo, respirant à peine, le regarda comme s’il eût encore douté de sa sincérité. Tous ses traits étaient contractés convulsivement, et ses regards devinrent encore plus attentifs. Alors, les rayons de la lune tombant directement sur le visage de don Camillo, il y aperçut une compassion véritable, et fondit en larmes.

— Je t’écouterai, pauvre Jacopo ; je suis prêt à t’écouter ! s’écria don Camillo, profondément ému à ce signe de détresse dans un homme d’un caractère si ferme.

Un geste de la main du Bravo lui fit garder le silence, et Jacopo, après un moment de lutte intérieure, reprit la parole.

— Vous avez sauvé une âme de la perdition, Signore, lui dit-il en cherchant à calmer son émotion. Si les hommes heureux connaissaient tout le pouvoir d’un mot de bonté, d’un seul regard de compassion, quand il est accordé à celui que tout le monde méprise, ils ne regarderaient pas si froidement le misérable que chacun repousse. Cette nuit aurait été ma dernière, si vous m’aviez