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ayant pour base des sables stériles ; tout ce qu’a pu faire l’industrie humaine aidée par un sol nourri de la dépouille de corps humains, a été de créer autour des modestes sépultures une maigre végétation qui contraste avec la stérilité générale du rivage. Ce cimetière n’est décoré d’aucun arbre ; encore aujourd’hui il n’est pas enclos, et, dans l’opinion de ceux qui l’ont destiné aux hérétiques et aux juifs, il est maudit. Cependant, quoique également condamnées au dernier outrage que l’homme puisse faire subir à ses semblables, ces deux classes prescrites fournissent une triste preuve des étranges préjugés et des passions des hommes, en refusant de partager en commun la misérable portion de terre que l’intolérance leur a accordée pour lieu de dernier repos. Tandis que le protestant, méprisant ses voisins, dort exclusivement à côté du protestant, les enfants d’Israël retournent à la poussière dans une partie séparée du même sol aride ; jaloux, les uns comme les autres, de conserver, même dans le tombeau, les distinctions de leur foi. Nous ne chercherons pas à analyser ce principe profondément enraciné qui rend l’homme sourd à l’appel le plus éloquent qu’on puisse faire en faveur des idées généreuses ; et nous nous contenterons de remercier le ciel d’être nés dans un pays où les intérêts de la religion sont difficilement souillés par l’alliage impur de ceux de la vie, où on laisse l’homme prendre soin lui-même du salut de son âme, et où, autant que l’œil humain peut le savoir, Dieu est adoré pour lui-même.

Don Camillo Monforte débarqua près de ces sépultures isolées des proscrits. Comme il voulait gravir ces monticules de sable que les vagues et les vents du golfe ont accumulés sur l’autre bord du Lido, il était nécessaire qu’il traversât cet endroit méprisé, ou qu’il fît un long circuit, ce qui ne lui convenait point. Après un signe de croix fait avec un sentiment superstitieux qui se rattachant à ses habitudes et à ses opinions, s’étant assuré que son épée ne tenait pas au fourreau, afin de pouvoir y avoir recours en cas de besoin, il traversa le terrain occupé par les morts, ayant soin d’éviter les tertres qui couvraient la sépulture d’un hérétique ou d’un juif. Il était arrivé à peu près au milieu de ce cimetière, quand une forme humaine se leva de terre et parut marcher avec l’air d’un homme occupé à méditer sur la leçon morale que pouvaient donner les sépultures placées à ses pieds. Don Camillo porta de nouveau la main à la poignée de son épée ; se détournant