Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’une stance, et dès que le son de la voix eut expiré, il y répondit en chantant la seconde. Ils continuèrent ainsi à chanter alternativement, et terminèrent par un chorus.

Alors la rame du gondolier frappa l’onde de nouveau, et il fut bientôt à côté de la barque.

— Tu t’es mis à pêcher de bonne heure, Antonio, dit le gondolier en passant dans la barque du vieux pêcheur ; il y a des gens qu’une entrevue avec le Conseil des Trois aurait envoyés à leurs prières et dans un lit où ils n’auraient guère dormi.

— Il n’y a pas dans Venise, Jacopo, une seule chapelle dans laquelle un pécheur puisse aussi bien faire son examen de conscience que dans celle-ci, où, seul avec Dieu sur les lagunes, j’avais les portes du paradis ouvertes devant mes yeux.

— Un homme comme toi n’a pas besoin d’images pour exalter sa dévotion.

— Je vois l’image de mon Sauveur, Jacopo, dans ces brillantes étoiles, dans cette lune, dans ce ciel bleu, dans cette chaîne de montagnes couvertes de vapeurs, dans les eaux sur lesquelles nous voguons, même dans ce corps usé par le travail et les années, comme dans tout ce qu’ont produit sa sagesse et son pouvoir. J’ai prié beaucoup depuis que la lune est levée.

— Et l’habitude est-elle si forte en toi que tu penses à Dieu et à tes péchés, même en tenant ta ligne ?

— Le pauvre doit travailler et le pécheur doit prier. Mes pensées ont été depuis quelque temps tellement occupées de mon enfant que j’en ai oublié jusqu’à mes repas. Si je pêche plus tard ou plus tôt que d’ordinaire, c’est parce qu’un homme ne peut vivre de chagrin.

— J’ai songé à ta situation, honnête Antonio ; voici de quoi soutenir ta vie et ranimer ton courage. Vois ! ajouta le Bravo en plongeant un bras dans sa gondole d’où il tira un panier : voici du pain de Dalmatie, du vin de la Basse-Italie et des figues du Levant ; mange donc, et reprends du cœur.

Le pêcheur jeta un regard d’envie sur ces provisions, car la faim mettait à une forte tentation la faiblesse de la nature ; mais sa main ne lâcha pas la ligne avec laquelle il continuait de pêcher.

— Et c’est toi, Jacopo, qui me fais ce présent ? demanda-t-il d’une voix qui, en dépit de sa résignation, annonçait les suggestions de l’appétit.