Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 11, 1839.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Dois-je être séparée de ceux que j’aime ? demanda impétueusement Violetta.

— Confiez-vous à la sagesse du sénat. Je ne connais pas sa résolution relativement à ceux qui vivent depuis si longtemps avec vous ; mais on ne peut douter de sa bonté ni de sa prudence. Il me reste seulement à ajouter que, jusqu’au moment où arriveront ceux qui sont nommés pour être vos protecteurs, il sera convenable de conserver la même réserve et de ne pas recevoir plus de visites qu’à l’ordinaire. Votre porte, Madame, doit être fermée au signor Gradenigo comme à toutes les autres personnes de son sexe.

— Ne le remercierai-je pas de ses soins ?

— Il est récompensé par la gratitude du sénat.

— Il m’eût été agréable d’exprimer de vive voix au signor Gradenigo mes sentiments ; mais ce qui est refusé à mes lèvres sera sans doute accordé à ma plume.

— La réserve qu’on impose à cet égard est absolue. Venise est jalouse de ceux qu’elle aime. Maintenant que ma commission est remplie, il ne me reste plus qu’à prendre humblement congé de vous, flatté d’avoir été choisi pour paraître en votre présence, et d’avoir été jugé digne d’une mission aussi honorable.

Lorsque l’officier cessa de parler et que Violetta lui eut rendu ses saluts, elle tourna ses regards remplis de crainte sur les visages attristés de ses compagnons. Le langage ambigu de ceux qui étaient employés dans de telles missions était trop bien connu pour laisser quelque espoir sur l’avenir ; ils pensèrent avec effroi qu’ils seraient séparés le lendemain, quoiqu’ils ne pussent pénétrer la raison de ce changement subit dans la politique de l’État. Interroger l’officier eût été chose inutile, car le coup venait évidemment du conseil secret, dont les motifs étaient impénétrables autant que les décrets étaient impossibles à prévoir. Le religieux leva la main et bénit en silence sa jeune pénitente ; et incapables, même en la présence de l’étranger, de dissimuler leur chagrin, donna Florinda et Violetta se jetèrent en pleurant dans les bras l’une de l’autre.

Pendant ce temps, l’agent de cette cruelle mission avait retardé son départ, comme une personne qui vient de former une demi-résolution. Il regarda fixement le religieux, de manière à prouver qu’il avait l’habitude de réfléchir longtemps avant de parler.