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un pêcheur honnête entre les mains duquel les saints ont fait tomber un prix sur lequel il n’a point de droit. On parle souvent sur les lagunes et au Lido de cette action du pêcheur, et on dit qu’il y a un beau tableau peint par un artiste vénitien dans une des salles du palais, qui représente cet événement tel qu’il arriva. On y voit le prince sur son trône, et l’heureux pêcheur, les jambes nues, présentant la bague à Son Altesse. J’espère que cette histoire est fondée, Signori, car elle flatte notre amour-propre, et elle sert en quelque sorte à tenir quelques-uns de nous dans la bonne voie et dans la faveur de saint Antoine.

— Le fait est vrai.

— Et la peinture excellente, sans doute, Signore ? J’espère que notre vanité n’a point été trompée, même en ce qui concerne la peinture ?

— On peut voir le tableau dans l’intérieur du palais.

— Corpo di Bacco ! j’étais dans l’erreur sur ce point, car il est rare que les riches et les heureux conservent le souvenir de ce que les pauvres ont fait. L’ouvrage est-il du grand Titien lui-même, Excellence ?

— Non, il est dû au pinceau d’un homme moins célèbre.

— On dit que le Titien a le talent de donner à ses ouvrages l’apparence de la chair, et l’on aurait pu penser qu’un homme juste aurait trouvé dans l’honnêteté du pauvre pêcheur des couleurs assez brillantes pour satisfaire les regards. Mais peut-être que le sénat voit du danger à nous flatter, nous autres des lagunes.

— Continue à nous raconter comment la bague t’est parvenue.

— Illustres seigneurs, j’ai souvent rêvé du bonheur de mon confrère du vieux temps, et plus d’une fois dans mon sommeil j’ai tiré mes filets avec ardeur, pensant que je trouverais le bijou dans une de leurs mailles ou dans les entrailles d’un poisson ; ce que j’ai si souvent rêvé s’est enfin réalisé. Je suis un vieillard, Signori, et il y a peu d’étangs et de bancs de sable entre Fusina et Giorgio où mes filets ne soient pas tombés. Le lieu où l’on a l’habitude de mettre à l’ancre le Bucentaure dans ces cérémonies m’est bien connu, et j’eus soin de couvrir le fond de l’eau de tous mes filets dans l’espoir de prendre la bague. Lorsque Son Altesse lança le bijou, je jetai une bouée pour marquer l’endroit. Voilà tout ; mon complice est saint Antoine.

— Tu avais un motif pour en agir ainsi ?