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front avec une rapidité qui lui promettait le succès. Cette espérance fut promptement réalisée. Il dépassa toutes les gondoles au milieu d’un profond silence causé par la surprise, et occupa la cinquième place dans la lutte.

Dès ce moment, l’intérêt ne se porta plus sur la masse des gondoles : tous les regards se tournèrent vers les cinq rivaux dont les efforts augmentaient à chaque coup d’aviron, et qui commençaient à rendre douteuse l’issue de la journée. Le gondolier de Fusina semblait redoubler de courage, quoique sa barque n’allât pas plus vite. La gondole de Bartolomeo le dépassa subitement ; elle fut suivie par celles de Gino et du gondolier masqué. Aucun cri ne trahit l’intérêt toujours croissant de la multitude ; mais lorsque le bateau d’Antonio s’élança aussi à leur suite, on entendit parmi la foule ce murmure significatif qui exprime un changement soudain dans l’esprit inconstant du peuple. Enrico devint furieux de sa disgrâce ; il usa de toute sa force pour éviter le déshonneur, avec l’énergie désespérée d’un Italien ; puis il se jeta au fond de sa gondole, en s’arrachant les cheveux et versant des larmes de désespoir. Son exemple fut suivi de ceux qui restaient en arrière, quoique avec plus de retenue ; car ils s’enfoncèrent parmi les bateaux qui bordaient le canal, et on les perdit bientôt de vue.

Par cet abandon déclaré et inattendu de la victoire, les spectateurs acquirent la conviction de sa difficulté. Mais comme l’homme a peu de sympathie pour le malheur lorsqu’une autre distraction se présente, les vaincus furent promptement oubliés : le nom de Bartolomeo fut porté aux nues par mille voix, et ses compagnons de la Piazzetta et du Lido lui crièrent de mourir, s’il le fallait, pour l’honneur de leur compagnie. Le vigoureux gondolier répondit à leurs souhaits ; car il laissait derrière lui successivement tous les palais du rivage ; et aucun changement n’eut lieu pendant quelque temps dans la position respective des gondoles. Mais, comme son prédécesseur, il redoubla ses efforts sans pouvoir augmenter la vitesse de sa course, et Venise eut la mortification de voir un étranger à la tête d’une des plus brillantes de ses regatte. Bartolomeo n’eut pas plus tôt perdu la place, que Gino, le masque, et Antonio à son tour, passèrent à côté de lui, laissant le dernier celui qui naguère avait été le premier. Il n’abandonna pas cependant le champ de bataille, et montra une énergie digne d’une meilleure fortune.