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vernée directement vers la terre. Le maître du bac crut devoir prendre la parole.

— Naufrages et pointes de rochers ! s’écria-t-il alarmé, une galiotte hollandaise serait brisée en pièces si vous la faisiez courir parmi ces pierres aiguës par un tel vent ! Aucun honnête marinier n’aimerait à voir un homme enfermé à fond de cale d’un croiseur, comme un voleur dans une prison ; mais c’est trop demander au propriétaire de la Laitière que de lui voir casser le nez sans s’y opposer.

— Il n’y aura pas une fossette de son joli visage dérangée, répondit le flegmatique étranger. Maintenant baissez les voiles, et nous courrons le long de la côte jusqu’au quai. Ce serait montrer peu de galanterie, Messieurs, de traiter la Laitière avec si peu de cérémonie, lorsqu’elle vient d’exercer ses pieds légers en notre faveur. La meilleure danseuse de l’île ne pourrait pas mieux jouer son rôle, quoiqu’elle fût animée par le son du violon.

On baissa les voiles, et la périagua se dirigea vers le lieu de débarquement, courant toujours à la distance d’environ cinquante pieds de la terre.

— Chaque vaisseau a son temps donné, comme les mortels, continua l’inexplicable marin. S’il doit mourir de mort subite, le ban ou la culée l’entraînent dans la tombe sans service funèbre ou prières de paroisse. L’hydropisie est comme un vaisseau engagé. La goutte, les rhumatismes tuent comme un cou rompu ou des membres brisés. Un corps tourmenté par des indigestions, c’est comme une cargaison trop lourde avec les canons en dérive. La potence, c’est un prêt à rembourser, avec les honoraires d’un homme de loi ; tandis que la mort par le feu, l’eau, la mélancolie religieuse et le suicide, ressemble à un canonnier négligent, à des rocs cachés, à de fausses lueurs et à un grossier capitaine.

En disant ces mots, et sans que personne pût prévoir ses intentions, cet homme extraordinaire s’élança sur le cap d’un petit roc que les vagues arrosaient, et, faisant de vigoureux efforts, il sauta d’une pierre à une autre, jusqu’à ce qu’il eût atteint la terre. Au bout d’une minute, on le perdit de vue parmi les habitations du hameau.

L’arrivée de la périagua qui atteignit le quai, le désappointement de l’équipage du cutter, et le retour des deux chaloupes au vaisseau, suivirent de près cet incident.