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les marins. Si nous ajoutons que des pantoufles légères en grosse toile avec des ancres surjalées[1] brodées en laine couvraient ses pieds, nous aurons fait la description de toute sa toilette.

Celui dont nous venons de décrire les manières et le costume causa une vive sensation parmi les noirs qui frottaient les stoops et le pavé. Il fut suivi jusqu’au lieu où il héla la périagua par deux ou trois désœuvrés qui étudiaient ses manières et ses mouvements avec l’admiration que des gens de leur classe manquent rarement de montrer aux hommes qui ont passé leur vie à courir les aventures et les dangers. Ordonnant à un de ces oisifs de le suivre, le héros au châle des Indes entra dans un bateau vide, et en détachant les liens, il dirigea cette légère chaloupe vers le bac qui attendait son arrivée. Il y avait en effet dans l’air turbulent et résolu, dans les attitudes mâles de ce prototype des marins, quelque chose qui pouvait attirer l’attention d’hommes qui avaient une plus grande connaissance du monde que la petite foule d’admirateurs qu’il laissait derrière lui. Avec un léger mouvement du poignet et du coude il faisait glisser la chaloupe en avant, comme un indolent animal marin nage à travers son élément. Et dans sa pose, ferme comme celle d’une statue, avec un pied sur chaque plat-bord, il y avait beaucoup de cette confiance qu’on acquiert en voyant les efforts heureux et répétés d’un habile danseur de corde. Lorsque la chaloupe atteignit le bac, l’étranger glissa une petite pièce d’argent espagnole dans la main du nègre, et s’élança dans la périagua avec une telle vigueur, qu’il fit reculer le petit bateau qu’il quittait jusqu’à moitié chemin de la terre, laissant le noir effrayé se remettre d’aplomb de la meilleure manière qu’il lui fut possible.

La démarche de l’étranger, tandis qu’il gagnait le demi-pont de la périagua, était celle d’un marin rempli de confiance en lui-même et d’audace. Il semblait examiner le caractère à demi nautique de l’équipage et des passagers de la périagua, et éprouver ce sentiment de supériorité auxquels les hommes de sa profession se livraient trop souvent à cette époque, lorsqu’il s’agissait de ceux dont l’ambition se bornait à la terre ferme. Ses regards s’arrêtèrent sur les simples agrès et les modestes voiles de la périagua, et sa lèvre supérieure prit une expression de critique. Poussant

  1. Ancre surjalée, dont la patte est entourée par une partie du câble.