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qu’il prenait pour guide les mouvements du croiseur. Le vaisseau vint plus près du vent, mais le coude subit du courant ne lui permit pas de gouverner en ligne directe dans sa course. Quoique chassant sous le vent avec une excessive rapidité, son chemin à travers l’eau, qui était fortement augmentée par les mouvements contraires du vent et de la marée, força le croiseur à se hasarder à travers le courant, parce qu’un récif sur lequel les vagues déployaient leur furie, se trouvait absolument au milieu de sa route. Le danger parut trop grand pour observer plus longtemps l’étiquette, et Trysail s’écria avec énergie : — Tout à culer ! ou le vaisseau est perdu.

— Loffez tout ! s’écria à son tour Ludlow d’une voix d’autorité. — Déployez tout. — Amures et voiles. — Déchargez la grande voile ! On eût dit le vaisseau aussi sensible au danger qu’il courait qu’aucun matelot de l’équipage : l’avant se détourna du récif couvert d’écume, et comme les voiles reçurent la brise sur leurs surfaces opposées, elles aidèrent à amener la proue dans une direction contraire. Une minute s’était à peine écoulée avant que le vaisseau eût culé, et l’instant d’après il avait viré et courait à pleines voiles. Cet effort dans le danger avait occupé toutes les facultés de Trysail, mais aussitôt qu’il eut le loisir de regarder l’avant, il s’écria de nouveau.

— Voilà un nouveau roc sous l’avant de notre vaisseau ; loffez, Monsieur, loffez, ou nous sommes dessus !

— La barre dessous, fit entendre de nouveau la voix mâle de Ludlow. — Laissez voler vos voiles. — Tout à culer. — De l’avant à l’arrière retirez les vergues. — Courage, amis !

Toutes ces précautions étaient en effet utiles. Quoique le vaisseau eût si heureusement échappé au premier danger du récif, un gouffre qui est appelé le Pot, parce qu’il représente l’eau en ébullition, se trouvait devant le vaisseau et semblait rendre le danger inévitable. Mais dans ce moment d’anxiété les voiles n’avaient pas perdu leur pouvoir, le mouvement du vaisseau se ralentit, et comme le courant l’entraînait toujours avec rapidité sous le vent, l’avant n’entra point dans les eaux bouillonnantes, jusqu’à ce que le roc caché qui donnait lieu à cette agitation eût été évité. Le bâtiment, obligé de céder, s’éleva et retomba comme s’il eût voulu rendre hommage à ce terrible passage, et la quille profonde passa sans toucher le roc.

— Si le vaisseau s’élance encore en avant de deux fois sa lon-