Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 10, 1839.djvu/294

Cette page a été validée par deux contributeurs.

des arbres rabougris qui bordaient la côte, n’eut aucune raison de supposer que son approche était connue. Une fois certain de la position du brigantin, il avança avec toute la précaution qui était nécessaire.

Il mit environ un quart d’heure à amener l’esquif sous le beaupré de l’élégant bâtiment sans donner l’alarme à ceux qui sans aucun doute veillaient sur les ponts. Le succès du jeune marin parut être complet, car il tenait déjà le câble avant que le plus léger bruit se fût fait entendre sur le brigantin. Ludlow regretta de n’être point entré dans le Cove avec sa chaloupe, car la tranquillité était si profonde qu’il ne doutait pas qu’il eût pu emporter d’assaut le bâtiment par un coup de main. Contrarié de cette imprévoyance et excité par cet espoir de succès, il se mit à méditer sur les expédients qui pouvaient se présenter naturellement à l’imagination d’un marin dans de semblables circonstances.

Le vent était au sud, et bien qu’il ne fût pas fort, l’air était chargé d’une pesante humidité. Comme le brigantin était protégé par l’influence des marées, il obéissait aux courants d’air, et tandis que l’avant se montrait à l’extérieur, sa poupe était dirigée vers l’extrémité du bassin. Sa distance de la terre n’était pas de cinquante brasses, et Ludlow ne tarda pas à s’apercevoir que le vaisseau n’était retenu que par une petite ancre à jet, et que les autres ancres dont il y avait une bonne provision étaient toutes à leur place. Cet incident lui fit espérer de pouvoir couper l’aussière qui tenait à elle seule le brigantin, lequel chasserait sans doute à terre avant que l’alarme pût être donnée à l’équipage, qu’on mît à la voile ou qu’on jetât l’ancre. Quoique ni Ludlow ni son compagnon ne possédassent d’autre instrument tranchant qu’un grand poignard de marin, la tentation était trop séduisante pour ne pas y céder. Le projet était attrayant, car, bien que le vaisseau dans cette situation ne pût recevoir aucun dommage sérieux, l’inévitable obligation de le retirer des sables donnerait le temps à ses bateaux, et peut-être à son vaisseau lui-même, d’arriver assez à temps pour s’assurer la possession du brigantin ; Ludlow s’empara du poignard de son compagnon et donna le premier coup sur la masse solide de cordage. L’acier n’eut pas plus tôt touché le carret qu’une lumière brillante éclata près du visage de Ludlow. Revenu de ce choc subit, le commandant se frotta les yeux, et regarda au-dessus de sa tête avec ce sentiment d’embarras qui se