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sorcières elles-mêmes perdent quelquefois l’esprit ! Voyez-vous de quel côté est l’avant, Monsieur ?

— Je ne vois rien que la lumière. Il fait si sombre que nos propres voiles sont à peine visibles, et cependant je crois que voilà des vergues un peu en avant de notre travers.

— Ce sont nos propres boute-hors de bonnettes basses. Je les ai fait tenir prêtes dans le cas où nous virerions de bord si le coquin changeait de vent. Ne filons-nous pas trop plein ?

— Vous pouvez loffer un peu ; loffez, ou nous le briserons.

Lorsque cet ordre fut donné, Ludlow s’avança rapidement. Il trouva les gens de l’abordage prêts à s’élancer. Il leur recommanda vivement d’amener le brigantin, coûte que coûte, mais de ne commettre de violence que dans le cas où l’on ferait une sérieuse résistance. Il leur enjoignit par trois fois de ne point descendre dans les cabines, et il exprima le désir que, dans tous les cas, l’Écumeur de Mer fût pris vivant. Lorsque ces recommandations furent faites, la lumière était si près du bâtiment qu’on pouvait distinguer chacun des traits malins de la Sorcière. Ludlow chercha en vain les espars, afin de s’assurer de la direction de l’avant du brigantin, et, se confiant au hasard, il vit que le moment décisif était arrivé.

— Tribord, et à l’abordage. Levez vos grappins, levez, jetez loin de vous. Atteignez près du gouvernail, courage, amis, et agissez avec calme ! Ces ordres furent donnés d’une voix claire et pleine qui semblait devenir plus profonde à chaque mot qui sortait de la bouche du jeune commandant.

Les gens de l’abordage obéirent gaiement et sautèrent dans le gréement. La Coquette cédait rapidement au pouvoir du gouvernail. S’inclinant d’abord vers la lumière, puis plongeant et se relevant du côté du vent ; un instant plus tard, elle touchait presque le brigantin. Les grappins furent jetés, et chacun retint sa respiration dans l’attente du choc des deux vaisseaux. Dans ce moment d’émotion générale, le visage de femme s’éleva en l’air, à une faible distance ; il semblait sourire de pitié sur cette vaine tentative, et il disparut subitement. Le vaisseau s’élança tranquillement en avant ; l’on n’entendit d’autre bruit, excepté celui des vagues, que celui des grappins qui tombèrent lourdement dans la mer, et la Coquette eut bientôt dépassé le lieu où la lumière avait été vue, sans avoir éprouvé le moindre choc. Quoique le temps