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Mais quoique ce terme pût faire penser que le brigantin manquait des proportions qui constituent l’élégance, l’on se rappellera que cette différence appartenait à quelque ancienne règle de l’art, et qu’on n’avait violé en rien les lois universelles et permanentes qui font le charme de la nature. Les modèles de cristal qui représentent le corps d’un vaisseau ne sont pas plus exacts, ni plus justes dans leurs lignes, que n’étaient les cordages et les esparres de ce brigantin. Pas une corde ne s’éloignait de sa véritable direction ; pas une voile dont les plis n’eussent l’air d’avoir été rassemblés par la main d’une habile ménagère ; pas un mât ou une vergue qui ne s’élevât dans l’air, ou n’étendît ses bras avec la plus minutieuse symétrie. Tout était aérien, original et plein de grâce, et semblait devoir prêter au bâtiment un caractère de légèreté et de rapidité extraordinaire. Au moment où le bateau s’approchait des flancs du brigantin, un changement dans l’air fit tourner la petite barque comme un van dans le courant qu’elle parcourait ; et comme les proportions longues et pointues des drisses d’avant se montrèrent à la vue, Ludlow aperçut sous le beaupré une image qu’il supposa faire, au moyen de l’allégorie, quelque allusion au caractère du vaisseau. Une figure de femme, due à un sculpteur habile, était placée sur la partie la plus avancée du gouvernail. Le corps appuyait légèrement un de ses pieds sur un globe, tandis que l’autre était suspendu avec aisance, et toute l’attitude ressemblait à celle du fameux Mercure de Bologne. La draperie était flottante, légère, d’une nuance vert de mer, comme si elle eût emprunté cette teinte à l’élément qui était au-dessous d’elle. Le visage était d’une couleur sombre bronzée, qui fut adoptée de temps immémorial comme le meilleur ton pour représenter l’expression humaine. Les cheveux étaient épars et touffus, et l’œil rempli de ce feu qui doit briller dans les regards d’une sorcière, et un sourire si étrange et si malin jouait autour de la bouche, que le jeune marin frémit à la vue de cette figure, comme si une créature vivante eût répondu à son regard.

— Sorcellerie et nécromancie murmura l’alderman lorsqu’il eut contemplé cette image extraordinaire, voilà une coquine en airain qui pourrait voler sans remords le trésor de la reine ! Vos yeux sont jeunes, patron, qu’est-ce que l’impudente tient si effrontément sur sa tête ?

— Il me semble que c’est un livre ouvert, dont les pages sont