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répandre sur leurs habitations flottantes un ordre de décoration qui, bien qu’approprié à leur élément, a quelque chose d’analogue aux ornements de l’architecture en général. La piété, la superstition et les usages nationaux produisent encore aujourd’hui dans les différentes parties du monde une grande variété dans l’apparence des vaisseaux. Dans quelques-uns, on donne à la tête du gouvernail l’image de quelque monstre hideux ; un autre montre les yeux louches et la langue pendante d’un chat ; celui-ci offre son saint patron, ou Marie toujours propice, en relief sur ses contours, qui sont aussi couverts d’emblèmes allégoriques. Peu de ces efforts de l’art nautique sont couronnés de succès, quoiqu’un meilleur goût se montre graduellement dans cette branche d’industrie, qui semble même vouloir s’élever à un état digne de l’approbation des plus sévères critiques. Mais le vaisseau dont nous parlons, quoique construit à une époque éloignée de la nôtre, eût fait honneur aux perfectionnements de notre siècle.

On a déjà dit que la carène de ce fameux vaisseau contrebandier était basse, sombre, construite avec un art exquis, et de proportions si parfaites qu’elle voguait sur l’Océan avec l’aisance d’un oiseau de mer à une petite distance au-dessus de l’eau ; on y voyait une ligne bleue qui se confondait avec la couleur sombre de l’Océan, l’usage du cuivre étant alors inconnu, tandis que les parties supérieures étaient d’un noir de jais rehaussé par deux lignes couleur paille, tracées avec une justesse mathématique, parallèlement à la surface de ses ouvrages supérieurs, et par conséquent convergeant légèrement vers la mer sous la voûte de l’arcasse. Des toiles de hamacs d’une blancheur éblouissante dérobaient à la vue les personnes qui étaient sur le pont, tandis que les bastions serrés donnaient au brigantin l’apparence d’un vaisseau de guerre. L’œil de Ludlow parcourait avec curiosité l’étendue des deux lignes couleur paille, cherchant en vain quelque indice de la pesanteur et de la force de l’armement. Si le bâtiment avait des sabords, ils étaient assez ingénieusement cachés pour échapper aux regards les plus perçants ; la nature des agrès a déjà été décrite. Participant au double caractère du brigantin et du schooner, les voiles et les esparres du mât d’avant ressemblaient au premier, et ceux du mât d’arrière au second. Les marins ont donné aux vaisseaux de cette forme le nom d’hermaphrodites.