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naturels ou artificiels, que la ville de New-York doit son extraordinaire prospérité. Bien que cette baie soit belle, il y en a beaucoup d’autres qui la surpassent par le charme pittoresque ; mais il est douteux qu’il y ait au monde un autre site, qui réunisse autant d’avantages, pour l’accroissement et la commodité d’un commerce étendu. Comme si ses faveurs étaient inépuisables, la nature a placé l’île de Manhattan au point précis où elle peut être le plus favorable à la position de la ville. Des millions d’habitants pourraient y vivre, et cependant un vaisseau aurait la facilité de recevoir sa cargaison à chaque porte, et quoique la surface du terrain ait toutes les inégalités requises pour la propreté, son sein est rempli des matériaux les plus utiles à la construction.

Les résultats de circonstances si favorables et si rares sont bien connus. Un accroissement continuel, qui n’a aucun exemple même dans l’histoire de cet étonnant et fortuné pays, a déjà élevé l’insignifiante ville de province du dernier siècle, au niveau des cités du second rang de l’autre hémisphère. La nouvelle Amsterdam de ce continent rivalise déjà avec son alliée de l’Ancien-Monde, et, autant qu’il est permis à l’imagination humaine de prévoir, on peut prédire que peu d’années la placeront au rang des plus brillantes capitales de l’Europe.

Il semblerait que, de même que la nature a donné ses périodes diverses à la vie animale, elle a aussi posé des limites à toute prépondérance morale et politique. La cité des Médicis se perd dans ses murailles en ruines comme les jambes du vieillard dans ses pantalons à pied[1] ; la reine de l’Adriatique dort au milieu de ses îles fangeuses, et Rome elle-même n’est reconnaissable que par ses temples écroulés et ses colonnes à demi ensevelies. L’Amérique, jeune et vigoureuse, couvre les déserts de l’ouest des fruits les plus heureux de l’industrie humaine.

L’habitant du Manhattan, familier avec les forêts de mâts, les quais, les innombrables villes, les églises, les châteaux, les vaisseaux fumants et animés qui encombrent sa baie, l’accroissement journalier et le mouvement général de sa ville natale, reconnaîtra difficilement le tableau que nous allons tracer. Celui qui viendra une génération plus tard sourira probablement en pensant que l’état présent de la ville fut un sujet d’admiration ; et cependant,

  1. Expression de Shakespeare.