Page:Contes secrets Russes, 1891.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
CONTES SECRETS RUSSES

ment, vieux ? » lui demanda sa femme, « est-ce que tu ne vois pas clair ? — « Hélas ! ma mie, le malheur m’a atteint, j’ai perdu la vue ! » La paysanne prit son mari par le bras, le guida dans la maison et l’aida à se coucher sur le poêle.

Le soir de ce même jour, elle reçut la visite de son bon ami, Térékha Gladkoï. « À présent n’aie plus peur, » lui dit-elle, « viens me voir quand tu voudras. Aujourd’hui j’ai été au bois, j’ai prié Nicolas l’ermite d’ôter la vue à mon vieux ; eh bien ! il est rentré tout à l’heure à la maison et il ne voit plus clair du tout ! » Ensuite la jeune femme fit des blines et, quand ils furent sur la table, Térékha se mit à les manger goulument. « Prends garde, Térékha, de t’étrangler avec les blines, » lui dit la maîtresse du logis, « je vais t’apporter de quoi les arroser ! » Dès qu’elle fut sortie pour aller chercher du beurre, le vieillard prit une arbalète, l’arma, visa Térékha Gladkoï et le tua net. Puis, sautant en bas du poêle, il roula un bline en forme de boulette et le fourra dans la bouche de Térékha pour donner à croire que ce dernier s’était étouffé en mangeant ; cela fait, le vieillard alla reprendre sa place sur le poêle. La femme revint avec le beurre et, à la vue de Térékha qui ne donnait plus aucun signe de vie, elle s’écria : « Je t’avais dit qu’il ne fallait pas manger les blines sans beurre, qu’autrement tu t’étranglerais ; tu ne m’as pas écoutée, et voilà que maintenant tu es mort ! » Elle prit le corps du