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CONTES SECRETS RUSSES

celui-ci resta là deux jours, privé de toute nourriture.

Le troisième jour, le forgeron attela sa charrette, y mit le cuveau et partit pour le lac. Arrivé en cet endroit, il s’arrêta, ôta ses bottes, retroussa son pantalon et descendit dans l’eau ; puis il longea les bords du lac, tenant son fouet à la main, comme un homme en train de pêcher. Quelque temps après, un barine vint à passer. « Bonjour, moujik ! — Eh ! barine, tu avais bien besoin de me dire bonjour ! Tu n’as fait que nuire à ma pêche. — Comment, à ta pêche ? — Oui ; tout à l’heure un diable était sur le point de mordre à l’hameçon, mais en entendant ta voix, il a battu en retraite, au moment où j’allais le ferrer. — Quels contes débites-tu là ? — Comment, des contes ? J’en ai déjà pris un que j’ai mis dans ce cuveau, et j’allais en attraper un autre si tu ne l’avais pas effarouché. — Montre-moi celui que tu as pris. — Je ne te le montrerai pas, barine. — Tiens, voici cinquante roubles. — À la maison, mes maîtres m’en donneront cent. — Allons, je vais te donner cent roubles. » Le forgeron prit l’argent du barine et ouvrit le cuveau ; le Tsigane en sortit aussitôt, barbouillé de marc des pieds à la tête, et s’enfuit à toutes jambes. « En effet, c’est un diable, » remarqua le barine en lançant un jet de salive, « voilà la première fois que j’en vois un, depuis tant d’années que je suis au monde. »

De retour chez lui, le forgeron dit à son épouse :