LII
L’ONGUENT MERVEILLEUX
ans certain pays vivait un jeune paysan dont
les affaires n’allaient pas bien : une épizootie
avait fait périr toutes ses bêtes à cornes et tous ses
chevaux, à l’exception d’une jument. Cet animal,
il se mit à le choyer, à l’aimer comme la prunelle
de ses yeux ; il se privait de tout pour que sa jument
ne manquât de rien. Un jour, après lui avoir
donné ses soins, il commença à la caresser, à lui
parler avec tendresse : « Ah ! ma colombe ! matouchka !
Il n’y a pas plus jolie que toi ! » La fille
du voisin, une grosse paysanne, entendit ces paroles
et, quand les jeunes villageoises furent réunies
dans la rue, elle leur dit : « Oh ! mes amies ! Pendant
que j’étais dans notre potager, Grigorii,
notre voisin, a pansé sa jument ; ensuite il a fait
l’amour avec elle, l’a embrassée, lui a dit des
douceurs : Ma colombe ! matouchka ! Il n’y a
pas plus jolie que toi au monde ! » Dès lors, le
gars fut en butte aux risées des filles du village ;
partout où elles le rencontraient, elles lui criaient :
« Ah ! matouchka ! ma colombe ! » Le pauvre jeune
homme n’osa plus se montrer nulle part et tomba
dans une profonde tristesse. Sa vieille tante s’en