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Elle ne voulut pas se fier à ses yeux de s’en expliquer tous seuls ; et un jour qu’elle était à la chasse avec le roi, elle feignit de ne pas suivre les chiens, parce qu’elle était incommodée. Alors se tournant vers le jeune chevalier, qui n’était pas éloigné : vous me ferez le plaisir, lui dit-elle, de rester auprès de moi, je veux descendre et me reposer un peu : allez, ajouta-t-elle à ceux qui l’accompagnaient, ne quittez pas mon frère. Aussitôt elle mit pied à terre avec Floride, et s’assit au bord d’un ruisseau, où elle demeura quelque temps dans un profond silence : elle rêvait au tour qu’elle donnerait à son discours.

Enfin levant les yeux, elle les attacha sur le chevalier, et lui dit : comme les bonnes intentions ne se manifestent pas toujours, je crains que vous n’ayez point pénétré les motifs qui m’engagèrent à presser le roi de vous envoyer combattre le dragon ; sûre, par un pressentiment qui ne m’a jamais trompée, que vous en sortiriez en homme de courage ; et vos envieux parlaient si mal du vôtre, parce que vous n’êtes point allé à l’armée ; qu’il fallait une action aussi éclatante que celle-ci pour leur fermer la bouche : je vous aurais bien communiqué ce qui se disait là-dessus, continua-t-elle, et j’aurais peut-être dû le faire, sans que je me persuadasse que votre ressentiment aurait des suites, et qu’il valait mieux faire taire les mal-intentionnés par votre conduite intrépide dans le péril, que par une autorité qui marque plutôt que l’on est favori que soldat. Vous voyez à présent, chevalier ; continua-t-elle, que j’ai pris un sensible intérêt à tout ce qui vous est arrivé de glorieux, et que vous auriez grand tort d’en juger d’une autre manière. La distance qui nous sépare est si grande, madame, répondit-il modestement, que je ne suis pas digne de l’éclaircissement que vous voulez bien me donner, ni du soin que vous avez pris de hasarder ma vie pour ménager mon honneur ; le ciel m’a protégé avec plus de bonté que mes ennemis ne le souhaitaient ; et je m’estimerai toujours heureux d’employer pour le service du roi et le vôtre, une vie dont la perte m’est plus indifférente qu’on ne pense.

Le respectueux reproche de Fortuné embarrassa la reine : elle sentit bien tout ce qu’il voulait lui dire ; mais elle le trouvait trop aimable pour chercher à l’éloigner par quelque réponse trop aigre ; au contraire, elle feignit d’entrer dans ses sentiments, et se fit redire avec quelle adresse il avait vaincu le dragon. Fortuné n’avait garde d’apprendre à personne que c’était par le secours de ses gens ; il se vantait d’être allé au-devant de ce redoutable ennemi, et que sa seule adresse, et même sa témérité, l’avaient tiré d’