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rage merveilleux. Le dragon se sentant percé de tous côtés voulait s’élever, et fondre sur le chevalier ; mais il n’en avait pas la force, et perdait tout son sang, et le chevalier, ravi de l’avoir réduit dans cette extrémité, appela ses gens pour lier ce monstre avec des cordes et des chaînes, voulant ménager au roi le plaisir et la gloire de lui donner la mort ; de sorte que n’ayant plus rien à craindre, ils le traînèrent jusqu’à la ville.

Fortuné marchait à la tête de son petit cortège. En approchant du palais, il envoya Léger, pour apprendre au roi la bonne nouvelle d’un succès si avantageux ; mais cela paraissait presque incroyable, jusqu’à ce que l’on vît paraître le monstre sur une machine faite exprès, où il était garrotté.

Le roi descendit, il embrassa Fortuné ; les dieux vous réservaient cette victoire, lui dit-il, et je ressens moins la joie de voir cet horrible dragon dans l’état où vous l’avez réduit, que de vous voir, mon cher chevalier. Sire, répliqua-t-il, votre majesté peut lui donner les derniers coups, je ne l’ai amené que pour les recevoir de votre main. Le roi tira son épée, et acheva de tuer le plus cruel de ses ennemis ; tout le monde jetait des cris de joie et des acclamations pour un succès si inespéré.

Floride, toujours inquiète, ne demeura pas long temps sans apprendre le retour du beau chevalier : elle courut l’annoncer à la reine, qui demeura si surprise, et si combattue par son amour et par sa haine, qu’elle ne pouvait répondre à ce que lui disait sa favorite ; elle s’était reproché cent et cent fois le mauvais jour qu’elle lui avait joué ; mais elle aimait mieux le voir mort, que de le voir indifférent : de sorte qu’elle ne savait et elle était bien aise ou fâchée qu’il revînt dans une cour ; où sa présence allait encore troubler le repos de sa vie.

Le roi, impatient de lui raconter l’heureux succès d’une aventure si extraordinaire, entra dans sa chambre, appuyé sur le chevalier : voici le vainqueur du dragon, dit-il à la reine, qui vient de me rendre le service le plus signalé que je pouvais souhaiter d’un fidèle sujet ; c’est à vous madame, à qui il a parlé la première de l’envie qu’il avait de combattre ce monstre ; j’espère que vous lui tiendrez compte du péril où il s’est exposé. La reine, composant son visage, honora Fortuné d’un accueil gracieux, et de mille louanges ; elle le trouva encore plus aimable que lorsqu’il partit, et son attention à le regarder ne lui fit que trop entendre que son cœur était encore blessé.