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— Sans doute les questions que je vous fis, ajouta-t-elle, vous causèrent de la peine ; car depuis ce jour-là vous ne vous êtes pas mis en état que je vous en fisse d’autres. — Comme le hasard seul me procura cette faveur, dit-il, il m’a semblé qu’il y aurait eu de la témérité d’en prendre d’autres. — Dites plutôt, ingrat, continua-t-elle en rougissant, que vous avez évité ma présence : vous ne connaissez que trop mes sentiments. » Fortuné baissa les yeux d’un air embarrassé et modeste, et comme il hésitait à lui répondre : « Vous êtes bien déconcerté ; allez, ne cherchez rien à me dire, je vous entends mieux que je ne voudrais vous entendre. » Elle en aurait peut-être dit davantage, si elle n’eût aperçu le roi qui venait se promener.

Elle s’avança aussitôt, et le voyant fort mélancolique, elle le conjura de lui en apprendre la raison. Vous savez, dit le roi, qu’il y a un mois qu’on vint me donner avis qu’un dragon d’une grandeur prodigieuse ravageait toute la contrée. Je croyais qu’on pourrait le tuer, et j’avais donné là-dessus les ordres nécessaires ; mais on a tout tenté inutilement : il dévore mes sujets, leurs troupeaux, et tout ce qu’il rencontre ; il empoisonne les rivières et les fontaines où il se désaltère, et fait sécher les herbes et les plantes sur lesquelles il se repose. Pendant que le roi parlait ainsi, la reine roulait dans son esprit irrité un moyen sûr de sacrifier le chevalier à son ressentiment.

« Je n’ignore pas, répliqua-t-elle, les mauvaises nouvelles que vous avez reçues ; Fortuné que vous avez vu auprès de moi, venait de m’en rendre compte ; mais, mon frère, vous allez être surpris de ce qui me reste à vous dire : s’est qu’il m’a priée avec la dernière instance, que vous lui permettiez d’aller combattre l’affreux dragon ; il est vrai qu’il a une adresse si merveilleuse, et qu’il manie si biens ses armes, que je ne suis point surprise qu’il présume beaucoup de lui ; ajoutez à cela, qu’il m’a dit avoir un secret pour endormir les dragons les plus éveillés ; mais il n’en faut point parler, parce qu’il ne paraîtrait pas assez de valeur dans son action. — De quelque manière qu’il la fît, répliqua le roi, elle serait bien glorieuse pour lui, et bien utile pour nous, s’il pouvait y réussir, cependant je crains que ce ne soit l’effet d’un zèle indiscret, et qu’il ne lui en coûte la vie ? — Non, mon frère, ajouta la reine, n’appréhendez point, il m’a conté là-dessus des choses surprenantes ; vous savez qu’il est naturellement fort sincère, et puis quel honneur pourrait-il espérer, de mourir en étourdi ? Enfin, continua-t-elle, je lui ai promis d’obtenir ce qu’il désire avec tant de passion, que si vous lui