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et je suis si faible que je n’ai pas la force de le retirer. — Je vous plains, » dit-elle, et sans lui offrir son secours elle s’éloigna ; la bergère aussitôt lui cria : « Adieu, belle déguisée ! » La surprise de notre belle héroïne ne se peut exprimer. « Comment, dit-elle, est-il possible que je sois si reconnaissable ? Cette vieille bergère m’a vue à peine un moment, et elle sait que je suis travestie ; où veux-je donc aller ? Je serai reconnue de tout le monde ; et si je le suis du roi, quelle fera ma honte et sa colère ? Il croira que mon père est un lâche, qui n’ose paraître dans les périls. » Après toutes ces réflexions, elle conclut qu’il fallait retourner sur ses pas.

Le comte et ses filles parlaient d’elle, et comptaient les jours de son absence, lorsqu’ils la virent entrer ; elle leur apprit son aventure : le bonhomme lui dit qu’il l’avait bien prévu, que si elle avait bien voulu le croire, elle ne serait point partie, parce qu’il est impossible qu’on ne connaisse pas une fille déguisée. Toute cette petite famille se trouvait dans un nouvel embarras, ne sachant comment faire, quand la seconde fille vint à son tour trouver le comte. « Ma sœur, lui dit-elle, n’avait jamais monté à cheval, il n’est point surprenant qu’on l’ait reconnue ; à mon égard, si vous me permettez d’aller à sa place j’ose me promettre que vous en serez content. »

Quoi que le vieillard pût lui dire pour combattre son dessein, il n’en put venir à bout. Il fallut qu’il consentît à la voir partir ; elle prit un autre habit, d’autres armes, et un autre cheval. Ainsi équipée, elle embrassa mille fois son père et ses sœurs, résolue de bien servir le roi ; mais en passant par le même pré où sa sœur avait vu la bergère et le mouton, elle le trouva au fond du fossé, et la bergère occupée à le retirer. « Malheureuse s’écriait-elle, la moitié de mon troupeau est péri de cette manière ; si quelqu’un m’aidait, je pourrais sauver ce pauvre animal ; mais tout le monde me fuit. — Eh quoi ! bergère, avez-vous si peu de soin de vos moutons, que vous les laissiez tomber dans l’eau ? » Et sans lui donner d’autre consolation, elle piqua son cheval.

La vieille lui cria de toute sa force : « Adieu, belle déguisée ! » Ce peu de mots n’affligea pas médiocrement notre amazone. « Quelle fatalité, dit-elle, me voilà aussi reconnue ; ce qui est arrivé à ma sœur m’arrive ; je ne suis pas plus heureuse qu’elle, et ce serait une chose ridicule que j’allasse à l’armée avec un air si efféminé que tout le monde me reconnût. » Elle retourna sur le champ à la maison de son père, fort triste du mauvais succès de son voyage.