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28 degrés ; partout aussi les parquets gauchis, les murs fendus et éraillés, le papier de tenture décollé et pendant. Tout près de là, nous allons visiter le palais également abandonné où logeaient les femmes du Bey. Il est entouré d’un fort beau jardin, avec grands arbres, bambous et dattiers. Cette fois l’ameublement a bien le cachet oriental ; il consiste surtout en larges divans installés le long des murs, et en lits très bas, de dimensions énormes, occupant des alcôves également très basses, et absolument tapissées de glaces et de verreries. Abondent également les pendules et les thermomètres.

Au retour, nous avons hâte de pénétrer dans le labyrinthe du vieux Tunis. Notre fil d’Ariane est un jeune Hébreu du nom de Félix, garçon fort intelligent, qui nous sert de truchement, et qui fut ensuite le compagnon habituel de mes excursions. Il nous conduit aux souks ou bazars, formant comme une petite ville dans la grande, et fermés la nuit par des portes massives. C’est un dédale de rues étroites et montueuses, horriblement pavées, assez souvent couvertes en poutres ou en planches noircies, dont les interstices laissent filtrer les chauds rayons du soleil, ou encore voûtées et avec colonnettes. Les boutiques et les ateliers se pressent et se confondent. Ce sont, le plus souvent, des réduits bas et étroits, remplis des marchandises les plus diverses, et tellement encombrés que leurs propriétaires trouvent à peine une place pour s’y loger. Ils attendent philosophiquement le client en fumant des cigarettes, sans solliciter le passant d’aucune manière. Tous les commerces, toutes les industries vivent fraternellement côte à côte. Un magasin de tapis ou de soieries touche l’échoppe d’un fruitier, incessamment occupé à chasser les mouches qui dévorent ses figues et ses raisins ; plus loin, un notaire à barbe blanche, gravement assis à la manière des tailleurs, rédige un acte en écrivant de droite à gauche avec un éclat de roseau pointu ; son voisin immédiat est un gargottier, dont le fourneau exhale sous le nez des passants d’affreuses odeurs de graisse brûlée ; vient après une boutique de parfums et d’huile de rose, puis une niche où se tient un changeur derrière des piles de gros sous, et ainsi de suite. Des rues entières sont occupées par une même industrie : il y a, par exemple, le quartier des cordonniers, celui des tailleurs, des brodeurs, des mégissiers, des selliers, des forgerons, des armuriers, des orfèvres. Tout ce monde travaille en plein air, dans des espaces fort exigus, et souvent un deuxième étage d’ouvriers est installé sur de grands rayons, près du plafond, quand la pièce a une hauteur suffisante. Avec des outils extrêmement simples, et en employant les procédés les plus primitifs ils exécutent des œuvres merveilleuses : on voit encore des forgerons plongés jusqu’à la ceinture dans un tonneau dont le bord arrive au niveau du sol, ayant devant eux une petite enclume, et à main droite un soufflet qui ne donne qu’un jet intermittent, et qui consiste en une outre de cuir sur laquelle ils pressent avec un bâton. Toujours en quête de monnaies romaines, je me fais