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autorisation de visiter le palais du Bardo, et fait avancer une voiture où je prends place avec le capitaine L., un de nos compagnons de traversée, On laisse à gauche la porte monumentale, on remonte la rue des Maltais, qui occupe l’emplacement des anciens remparts de l’est, et l’on sort par la porte Bab-es-Sadoun ou du nord-ouest. La route est bordée d’arbres et assez bien entretenue. Après avoir traversé des cultures maraîchères entourées de grandes haies d’agaves et de cactus, elle franchit les arceaux fort élevés d’un tronçon de l’aqueduc d’Hadrien, et se continue au milieu des terrains vagues et des champs dépouillés de leurs récoltes. La campagne s’étend à perte de vue, blanchâtre, aride et presque plane ; cependant de belles perspectives se découvrent au sud, car on domine le lac de Seldjoum et la vallée de la Miliana, limitée par de pittoresques collines, et à l’extrême horizon surgit la masse abrupte et imposante du Djébel-Zaghouan, d’un azur admirable. Situé à 2 kilomètres au nord-ouest de Tunis, le Bardo s’élève au milieu d’une plaine nue ou couverte de friches et de broussailles. Les abords immédiats du palais sont encombrés d’immondices, et remplis de fondrières transformées en bourbiers par la pluie du matin. Du dehors il ne paye pas de mine : sans architecture aucune, il se présente comme une sorte de forteresse dégradée, avec fossés, tours et vieux canons rouillés. Depuis qu’il ne sert plus de résidence on a cessé de l’entretenir ; d’ailleurs il a été construit avec tant de négligence, que si l’on n’y met ordre, il ne tardera pas à tomber en ruines. L’entrée donne accès dans une longue allée latérale bordée de misérables boutiques de la forme et de la grandeur des cages de nos ménageries, où sont accroupis de pauvres hères qui attendent l’acheteur avec l’apathie orientale. Un passage voûté fort obscur débouche dans une sorte de grand préau entouré de murailles blanches, avec quelques fenêtres grillées ; un second passage conduit à un bel escalier et à une magnifique cour de marbre, avec colonnettes et arcades merveilleusement fouillées, ressemblant à une dentelle blanche. C’est certainement la partie la plus remarquable du palais. Le reste se compose de pièces de toutes dimensions, situées à tous les niveaux, communiquant par des couloirs et des escaliers innombrables, la plupart garnis de plaques de faïence. Cependant la salle du trône mérite une mention spéciale. Elle est fort grande, fort ornée et assez bien meublée à l’européenne ; mais les décorations, aux couleurs vives et criardes, trahissent une absence de goût qui se remarque encore mieux dans le choix des tableaux suspendus aux murailles. On y voit les portraits en pied de la plupart des souverains de l’Europe depuis la Restauration, quelques bonnes toiles, mais un nombre infiniment plus grand de véritables croûtes, et les petits intervalles entre les cadres sont occupés par de méchantes lithographies. Même incohérence dans l’ameublement, les objets les plus élégants se trouvant à côté des plus vulgaires : partout des pendules, des baromètres, des anéroïdes, des thermomètres qui s’accordent à peu près pour marquer