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qui abondent en certains endroits. Une grande haie de cactus se présente, entourant une propriété dont on aperçoit les hangars et les bâtiments assez loin du côté de la mer. Elle est rompue en maint endroit. Comme je me disposais à la franchir, Félix me fait remarquer que le terrain ne nous appartient pas, et que nous n’avons pas le droit d’y pénétrer. Un tel scrupule chez un garçon absolument dépourvu de préjugés (j’ai eu le temps de m’en convaincre suffisamment) ne laisse pas de me surprendre, mais trouve bientôt son explication naturelle dans l’extrême pusillanimité du jeune drôle. Il y a, en effet, près de la ferme, quelques tentes de laboureurs et plusieurs troupeaux gardés par des chiens arabes, qui sont fort méchants, assure mon gamin. De quoi peuvent vivre ces moutons ; que trouvent-ils à brouter dans ces champs desséchés, absolument nus, où l’on ne voit pas le moindre brin d’herbe verte ? c’est pour moi un problème encore insoluble à l’heure qu’il est. Et je dirai la même chose à propos des hauts plateaux de l’Algérie, où paissent d innombrables troupeaux de bœufs, de moutons et de chameaux, tous prospères et bien en chair. Il faut cependant affronter le danger sous peine de changer de direction, ce qui ne serait pas du tout mon affaire. Les chiens se précipitent en hurlant, et Félix me joint côte à côte. Quelques pierres heureusement arrivées à destination suffisent pour les éloigner. Ces bêtes semblent partager les antipathies de leurs maître, et se montrent fort acharnées contre tout ce qui porte l’habit européen, et même contre les chiens européens, qui leur rendent bien la réciproque. Ce sont des animaux à demi-sauvages, issus en droite ligne du chacal, ainsi que l’avait si justement pressenti Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, qui fait du chacal la souche du chien domestique. À peine se distinguent-ils, par leur taille plus élevée, de leurs ancêtres indépendants, dont ils ont l’apparence et le pelage, le museau effilé, les oreilles pointues, la queue droite et touffue. Chez quelques-uns, cette queue commence à se recourber en trompette, ce qui indique un passage au chien-loup.

Nous arrivons aux bassins du Cothon et du port marchand, dont les bords sablonneux sont plantés de palmiers et de cactus. Comme je l’ai déjà dit, ils ont conservé leur forme primitive, mais les ensablements en ont beaucoup diminué la surface : à peine le port de commerce a-t-il l’étendue d’un grand bassin de nos canaux français. Sur une partie de leur emplacement s’élève, au bord de la mer, un palais entouré d’un superbe jardin, où se remarquent beaucoup de palmiers, de bambous, des murailles de cactus, et, çà et là, d’énormes aloès surmontés de leur candélabre desséché. Cette végétation contribue beaucoup à donner aux contrées méditerranéennes l’aspect qui leur est propre ; mais tous ses représentants ne sont pas indigènes, et sans doute l’exact et scrupuleux auteur de Salammbô a dû éprouver quelque mécompte, s’il a jamais appris que les agaves et les nopals dont il décore les paysages africains du temps d’Hamilcar, ont pour patrie le nouveau continent. Au lieu de