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Dans cet écrit où l’auteur se portait à des excès de flatterie presque idolâtrique pour le grand roi, Molière est traité de « démon vêtu de chair et habillé en homme ; » c’est, au dire du curé de Saint-Barthélemy, le plus signalé impie et libertin qui fut jamais, et ce n’est que de son esprit diabolique que pouvait sortir une pièce si pleine d’impiété et d’abominations où l’on ne trouve rien qui ne mérite le feu.

Les attaques contre le Tartuffe ne venaient pas seulement du curé Pierre Roulès ; une véritable cabale s’élevait contre cette pièce « que maint censeur daubait nuit et jour : » et c’est afin de repousser l’outrage, que Molière fit coup sur coup (du 20 mai au 21 juillet) plusieurs voyages à Fontainebleau, pour représenter le bon droit de son travail persécuté, et mettre, comme il le dit lui-même dans son premier placet au roi, ses intérêts entre les mains de Sa Majesté, la suppliant de lui accorder « pour justifier à tout le monde l’innocence de son ouvrage, » l’autorisation de jouer Tartuffe en public et de faire voir en un mot que sa comédie n’est rien moins que ce qu’on voudrait qu’elle fût.

Dans ce premier placet, qui nous est parvenu sans date, mais qui certainement est postérieur au 28 juillet et peut-être même au 13 août 1664, Molière, en rappelant à Louis XIV que lui-même a bien voulu trouver sa nouvelle pièce fort divertissante, constate qu’il a d’ailleurs l’approbation de la plus grande partie des prélats, et notamment celle de M. le légat du pape, monseigneur Chigi, qui était arrivé le 28 juillet 1664 au palais de Fontainebleau, comme nous l’avons dit plus haut, et qui avait assisté à plusieurs soirées dramatiques données par la troupe de Monsieur.

Cette approbation du cardinal romain, Molière l’avait obtenue à la suite d’une lecture particulière qu’il lui fit de ses trois premiers actes de Tartuffe, une après-midi, dans les appartements de la Cour ovale occupés à cette époque au château de Fontainebleau par monseigneur Chigi. Si l’on en croit J. Michelet, c’est à l’aide d’un petit artifice de langage que Molière parvint à obtenir une audience du légat : « Il avait observé, aurait-il dit au légat, que certaines gens laïques, sans caractère et sans autorité, sans ombre de piété, se mêlaient de direction, chose impie et contraire à tout droit ecclésiastique. Ces intrus, intrigants hypocrites, usurpaient le spirituel pour s’emparer du temporel… Rien ne pouvait donc mieux servir la religion que de démasquer ces directeurs laïques. » Quoi qu’il en soit de cette petite comédie,